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Le silence, c’est fou!

C’est une arme de destruction massive, bien connue des sages et des mafieux, qu’une écolière du Jura bernois a choisie pour alerter sur le réchauffement climatique. En inventant le militantisme de la bouche cousue.

La vérité, tous les adultes menteurs vous le diront, sort de la bouche des enfants. Et si pour une fois c’était vrai? Écoutons par exemple ce que nous dit Diane Lou Pellaud Eastes, 14 ans, de Sorvilier dans le Jura bernois. Disciple de la Jeanne d’Arc du réchauffement climatique – la vieille suédoise Greta Thunberg, 16 ans – Diane, elle, plus modestement prône la bouche cousue. Se taire, donc, pour mieux hurler à l’apocalypse climatique. Avec ce slogan sans réplique: «Puisqu’on ne nous écoute pas, ne parlons plus.» Silence dans les rangs et les écoles tous les vendredis. Voilà le programme.

Rien de plus radical en réalité que le silence, de plus à contre-courant, de moins pratiqué, de plus rare, de plus réactionnaire même, tant l’époque en est incapable. Le silence c’est la mort, c’est l’ennui, c’est l’inactivité, c’est la décroissance, c’est le Moyen Age, bref l’horreur. D’ailleurs c’est bien connu, sur leur banquise devenue molle, les ours blancs ne parlent pas. Les grandes douleurs qui sont muettes, n’est-ce pas? Même si les victimes d’actes de torture pourraient trouver le proverbe un brin réducteur.

N’empêche, le silence prôné par une enfant, c’est beau, c’est simple, ça en deviendrait presque sublime, tant on imagine l’ampleur de l’effort consenti. «Vos gueules les mômes!», qui ne l’a pensé, rêvé, supplié vingt fois par jour? Tant pis si, façon omerta, le silence peut s’apparenter à une technique de mafieux. II y a trois choses de certaines dans ce monde incertain, aurait dit en substance Toto Riina, capo di tutti capi, parodiant Benjamin Franklin lors de son procès à Palerme: «La mort, les impôts et le silence de Toto Riina.»

C’est vrai que le silence se montre rarement franc du collier. Le procureur de la Confédération Michael Lauber ainsi se voit bruyamment reproché d’avoir tu l’une de ses rencontres avec le boss de la FIFA Gianni Infantino, patron de tous les calcios, alors qu’il aurait dû bien évidemment en parler.

La logique est limpide: jamais époque ne fut aussi bruyante et jamais chacun n’aura autant été sommé de tout dire. De l’ère du soupçon on est passé vite fait à celle de la transparence dénudante, du «n’avouez jamais» au «dites-nous tout». Juste avant sans doute le mythique «nous avons les moyens de vous faire parler».

Le silence pourtant fut une marque de sagesse suprême: tourner sept fois sa langue conseillait la Bible, avant d’éructer une nouvelle ânerie. Ou encore cette scie taoïste que chacun connait: «Celui qui parle ne sait pas, celui qui sait ne parle pas.» Le silence depuis est devenu un objet de suspicion intense, pour ne pas dire de scandale.

Au point qu’un ancien premier-ministre français – Édouard Balladur pour le nommer – est entré dans l’histoire pour une seule phrase, la seule qu’on retiendra de lui, la plus iconoclaste, la plus provocante sans doute qu’il ait jamais prononcée, adressée qui plus est à ses partisans pour faire taire sifflets et huées à l’annonce de son échec au premier tour de l’élection présidentielle: «Je vous demande de vous arrêter.»

Au point, enfin, qu’on ne sait plus trop de quoi on parle quand on parle du silence, cette bizarrerie si déstabilisante. Qu’a-t-on entendu et lu partout à propos de l’action de la jeune Diane? Que l’écolière en appelait à «une grève du silence». Alors que c’était précisément le contraire: une grève de la parole.