KAPITAL

La promotion méritée du fauteuil de bureau

Indispensable outil de travail du tertiaire, le siège de l’employé est désormais considéré aussi sérieusement que celui de la hiérarchie. Pour leur bien-être et la productivité de l’entreprise.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans PME Magazine.

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Jony Ive voit loin. Et il aime partager. Lorsqu’il repère, à la fin de l’année dernière, le meilleur fauteuil pour son bureau de la Silicon Valley, le plus ergonomique, le plus stylé, le plus recommandé pour bien travailler sans se luxer une vertèbre, le designer en chef d’Apple en commande 12’000 dans la foulée. Il est l’un des hommes les plus influents de la planète, l’un des plus suivis, il peut être considéré par cette décision comme l’un des dirigeants les plus intelligents qui soient.

Chouchouter son personnel, sans exception, n’est plus une option. Grâce à ce choix, des milliers d’exemplaires de la nouvelle Pacific Chair signée Vitra, entreprise suisse basée à Birsfelden (BL), meublent désormais l’Apple Park de Cupertino, Californie. À cette occasion, l’agence de presse Bloomberg a signé un papier intitulé «Apple mène une révolution dans le siège de bureau». The Pacific Chair: trois hauteurs de dossier, deux finitions (plastique ou aluminium), des couleurs de tissu à choix et un prix démarrant à 825 francs. On ignore si Jony Ive a opté pour le modèle haut de gamme en cuir caramel, mais on espère que sa généreuse stratégie «bien-être» fasse autant d’adeptes que le dernier iPhone.

Et en Suisse? Un employé passe entre quatre et cinq heures par jour assis, rapporte une récente étude de l’Office fédéral de la statistique. Un sixième des personnes interrogées avoue même rester en position assise plus de huit heures et demie dans une journée. Le choix de la chaise de bureau est donc fondamental.

David Bozier, spécialiste en ergonomie à la tête du cabinet Optimance à Neuchâtel, est catégorique: «La chaise doit être considérée comme un outil de travail au même titre que l’ordinateur. Si ce dernier n’est pas adapté aux tâches bureautiques, nous nous énervons, stressons, perdons notre temps. En bref, nous ne sommes plus aussi performants.» Les entreprises suisses s’intéressent-elles au confort physique de leurs collaborateurs? Avec ou sans roulettes, accoudoirs ou bras ballants, siège inclinable, dossier incurvé ou raide, nuque maintenue ou pas tenue, fibres bio ou polyester, tabouret pour hyperactif ou boule de physio pour se balancer en twittant? Les chefs d’entreprises se posent-ils seulement la question…

Une affaire de morphologie

«Oui, les gens ont compris que sur le poste de travail le siège de bureau est l’élément le plus important en matière de confort et d’ergonomie», assure Patrick de Lenzbourg, directeur associé chez SV Concept, concessionnaire exclusif pour la Suisse romande d’Herman Miller, prestigieuse marque américaine de design. Sa clientèle est vaste (consultants indépendants, grandes entreprises, start-ups) et son point de vue est clair: «On investit désormais dans le siège adéquat. Ceux qui ont un budget limité accordent simplement moins d’importance au plan de travail ou aux autres éléments du mobilier.» Car on ne badine plus avec la santé de l’employé, ses lombaires, son nerf sciatique, sa fatigue nerveuse.

Reste à trouver fauteuil à son dos, dans les limites du budget déco de l’entreprise. L’affaire consiste notamment à dénicher le siège adapté à la morphologie. Il semble indispensable de se faire conseiller. Par Thierry Blanchard, par exemple, responsable des ventes chez Kaiser+Kraft, enseigne de mobilier milieu de gamme, dont la filière romande est établie à Saint-Sulpice (VD). «Si notre client souffre de problèmes de dos ou de douleurs, nous lui recommandons une chaise permettant de nombreux réglages. Nous le rendons également attentif à la manière de s’assoir. Les jambes positionnées à 90° et l’assise inclinée très légèrement vers l’avant.»

Assise latérale

Chez Kaiser+Kraft, on observe des demandes diverses venant de toutes les catégories d’entreprises. «La plupart du temps, nos clients recherchent des chaises de bonne qualité à prix moyen. Beaucoup ne veulent pas y consacrer un gros budget. Une start-up recherchera peut-être un modèle un peu plus design ou fun, tandis que d’autres seront plus sensibles aux critères de confort et de santé. Ce seront souvent de grosses boîtes où les problèmes de santé au travail se révèlent importants.»

Comme au siège d’Apple où le designer en chef et ses 12’000 collaborateurs bénéficient de la même assise, il semblerait qu’en Suisse le confort de l’équipement ne soit plus lié au rang de l’employé dans l’entreprise. Sur ce point, Patrick de Lenzbourg chez SV Concept est catégorique: «Cette époque est révolue. Le même standard de confort pour tous prévaut aujourd’hui. Il n’y a plus de privilèges.» Selon lui, les sièges deviendraient même de plus en plus polyvalents, répondant à la flexibilisation de nos façons de travailler. Dans les entreprises où des places fixes ne sont plus assignées, des sièges adaptés à chacun doivent être envisagés.

En ce sens, SV Concept présentera le 15 novembre prochain, dans son arcade genevoise, la dernière création d’Herman Miller, COSM, une chaise au design futuriste et, surtout, auto-ajustable. À l’exception de la hauteur d’assise, les réglages s’effectuent automatiquement en fonction de la personne qui s’y installe. Affichant un prix d’environ 1400 francs, cette chaise offre également une assise latérale, permettant des positions en lien avec nos façons de nous tenir aujourd’hui: penché sur un écran, détendu pendant un instant de pause ou pour consulter son smartphone. Déjà présentée au salon de Milan, la chaise COSM a été encensée par la critique.

Courbes apaisantes

Ce nouveau modèle d’Herman Miller succède à la fameuse Aeron, première version sortie en 1994, vendue depuis à huit millions d’exemplaires dans le monde. Jony Ive, notre dirigeant philanthrope, a usé la sienne avant de flasher pour la Pacific de Vitra, commandée en bleu profond, deep sea blue, pour toute sa troupe. Vendue entre 800 et 1800 francs selon les options, l’Aeron reste toujours aussi prisée grâce à son design intemporel. Il a fallu huit ans à la maison Herman Miller pour l’élaborer, en tenant compte de quatre critères: fonctionnalité, ergonomie, anthropométrie et environnement. La marque est effectivement pionnière dans la notion de recyclage des matériaux.

À sa sortie, l’Aeron était considérée comme «un engin du futur», se rappelle Patrick de Lenzbourg. «Mais les gens ont vite compris que ces innovations n’avaient pas été faites par hasard.» Pour la première fois, la mousse traditionnelle d’un fauteuil est remplacée par une pellicule qui habille l’assise tout comme le dossier. «Cette texture permet un meilleur maintien des points d’appui en s’adaptant à la morphologie de chacun», précise le directeur associé de SV Concept. La membrane engendre également un véritable phénomène d’aération. Une chaise de bureau conventionnelle chauffe d’1 à 1,5 degré au contact prolongé d’un corps humain. L’Aeron maintient sa température constante. Enfin, visuellement, la texture de la chaise donne une impression de «légèreté», une nouveauté à l’époque, qui lui donne son caractère unique.

Aujourd’hui, c’est plutôt une idée de «calme» qui se dégage de la Pacific Chair de Vitra. D’après le magazine d’affaires américain Fast Company, les deux designers britanniques à l’origine de l’objet, Edward Barber et Jay Osgerby, auraient cherché à faire émaner cette sensation, avec des courbes apaisantes qui puissent se fondre dans n’importe quel bureau.

Chouchouter l’employé

 Design, ergonomie ou phénomène de mode, les spécialistes sont formels: mieux vaut se donner les moyens d’investir dans un siège confortable. «Quand les employeurs constatent ce que coûte l’absentéisme, par manque de qualité du lieu de travail, ils investissent», assure Patrick de Lenzbourg. Pour une entreprise de soixante personnes, on estime que le coût annuel direct de l’absentéisme s’élève à environ 160’000 francs. Auxquels il faut ajouter des coûts indirects estimés à 320’000 francs, selon une étude de l’association Promotion Santé Suisse. «L’ergonomie au travail ne se limite pas à la forme ou à la présence d’accoudoirs sur sa chaise de bureau, précise David Bozier, du cabinet neuchâtelois Optimance. Il s’agit d’un ensemble de paramètres (réglage du bureau, inclinaison de l’écran d’ordinateur, disposition du plan de travail…) à prendre en compte pour que le collaborateur puisse opérer dans les meilleures conditions possibles.» Un investissement pour l’humain, qui le rendra bien.

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Les 5 conseils pour choisir et utiliser sa chaise de bureau

David Bozier, spécialiste en ergonomie, livre ses recommandations.

  • Choisir un fauteuil qui possède plusieurs options de réglages (accoudoirs, assise, appuis lombaires…), pour trouver la position la mieux adaptée.
  • Privilégier un dossier incurvé plutôt que plat: il épousera mieux la forme du dos.
  • S’asseoir avec le dos maintenu et les deux pieds posés par terre. Il est aussi bon d’utiliser un repose-pied.
  • Bouger régulièrement. Dans l’idéal, faire une mini-pause toutes les 25 minutes (étirements, boire un verre d’eau, aller à l’imprimante chercher des documents…) ou investir dans un bureau ajustable en hauteur pour alterner position assise et debout.
  • Ne pas hésiter à demander au magasin de pouvoir essayer le matériel avant de l’acheter. La plupart des enseignes l’autorise.