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La campagne présidentielle et le troisième homme

Chirac piaffe d’impatience. Dans quelques mois, il sera vraiment Président. Peut-être. A moins que Jospin ne s’efface. Au profit de Martine Aubry? Les paris sont ouverts.

Qui gouvernera la France au printemps prochain? La gauche ou la droite? Jospin ou Chirac? Un troisième homme propulsé par surprise sur le devant de la scène? Les parieurs commencent à réfléchir aux mises qu’ils vont risquer, les voyantes scrutent les boules de cristal…

Pour le moment toutefois, les sondages n’hésitent pas: ce sera la droite, Chirac donné vainqueur avec une majorité aussi confortable que celle de 1995.

Mais les choses ne seront peut-être pas aussi simples. Politiquement, la droite n’a pas encore achevé la mue entreprise en cette lointaine année 1974 où pour la première fois il s’était agi de trouver un remplaçant aux gaullistes historiques que furent les présidents Charles de Gaulle et Georges Pompidou.

Un gaulliste historique – il avait été général à 27 ans dans la résistance -, Jacques Chaban-Delmas, maire de Bordeaux, fit acte de candidature avec un programme centriste concocté par un chrétien-social encore inconnu, Jacques Delors. En cas de réussite, ce dernier aurait dirigé le gouvernement.

La candidature de Chaban fut torpillée par un jeune technocrate aux dents longues, Jacques Chirac, qui préféra manœuvrer pour porter Giscard d’Estaing à la présidence plutôt que son compagnon de parti. Il préservait ainsi ses propres chances. Dans le même but toujours, il dut répéter sa manœuvre sept ans plus tard, mais en faveur du socialiste Mitterrand. En agissant ainsi, Chirac, grand tacticien, sauva sa carrière personnelle mais disloqua de manière durable la droite française.

Il suffit par la suite que Mitterrand, autre tacticien de génie, lui lance un Le Pen entre les jambes pour qu’il doive patienter sept années supplémentaires!

Aujourd’hui, Jacques Chirac, homme de pouvoir, d’intrigues et de manœuvres est en pleine forme. Les 21 ans qu’il a passés à attendre le pouvoir lui ont creusé l’appétit. Il est d’autant plus frustré qu’il n’en a joui réellement que pendant deux ans, puisque le fatal coup de dé de la dissolution de 1997 le flanqua d’une majorité parlementaire de gauche!

Si nous faisons le compte, Chirac, en avril prochain, ne comptabilisera que deux ans de plein exercice du pouvoir et 25 ans de piaffements. C’est dire que l’homme, même âgé de 70 ans, reste motivé.

Tout à sa carrière, Jacques Chirac n’est jamais parvenu à recomposer une droite qui reste fragmentée en de nombreuses tendances que l’on retrouve derrière les candidats à la présidence, les Pasqua, Bayrou, Madelin, Le Pen, Boutin, Villiers, etc. qui lui grapilleront des voix au premier tour, sans le mettre en danger, parce qu’aucun d’eux n’est capable de regrouper la droite classique anti-gaulliste. Mais qui ne se reporteront pas tous sur lui au second tour, et là réside un danger réel.

A gauche, la situation est radicalement différente. La recomposition socialiste comme pôle de centre-gauche s’est achevée avec les quatre ans de gouvernement de Lionel Jospin. Le parti est solidement implanté. Il a su provoquer l’apparition d’une génération de politiciens, les Aubry et Guigou, Fabius, Srauss-Kahn, et autres Kouchner, aux épaules solides, à la popularité certaine.

Chez les socialistes, si le corps est sain et bien structuré, c’est la tête qui manque de punch. Jospin a eu beau se révéler bon gestionnaire dans les affaires, bon chef d’orchestre au gouvernement, il rebute le bon peuple. Il ne parvient pas à capter la sympathie. Ce défaut-là (Schilt vient d’en faire l’amère expérience à Lausanne) est rédhibitoire. Pour emmener son camp à la victoire, Jospin devrait faire preuve d’une grande abnégation et se sacrifier au profit d’une Martine Aubry ou d’un Bernard Kouchner, personnalités qui pourraient susciter plus de sympathie dans l’électorat.

Reste le troisième homme, rôle que rêvent de jouer aussi bien Jean-Pierre Chevènement que Charles Pasqua. Ce dernier nourrit de grandes illusions sur ses réserves électorales et l’emprise de ses roucoulements à la Fernandel. Il est trop compromis dans trop d’affaires louches pour pouvoir prétendre aux premiers rôles.

Chevènement, lui, se sent le vent en poupe et ses nombreux amis souverainistes, en particulier chez les intellectuels de gauche et dans certains journaux comme Marianne, aimeraient faire croire à ses chances. Pour l’heure, elle sont nulles, puisque les sondages le donnent derrière Le Pen. Mais en mars? L’introduction de l’euro aura alors bouleversé les habitudes d’une populations conservatrice dont des pans entiers comptent encore en anciens francs plus de quarante ans après leur disparition. L’Union européenne, toujours ressentie comme très lointaine, très bruxelloise, aura alors fait irruption dans tous les foyers.

Il est tout à fait possible qu’à ce moment-là une crise passagère d’urticaire nationaliste tombant pile sur les élections donne sa chance à Chevènement. Et assure l’élection de Chirac au second tour. Quitte à relancer la cohabitation en donnant le parlement à la gauche le mois suivant…