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Dans la mare aux grenouilles

Surestimation de soi et catéchisme légèrement neuneu semblent vouloir gangrener la vie publique. Trois exemples récents.

Cela sent la grenouille. Celle qui veut se faire plus grosse que le bœuf. Celle de bénitier aussi, coassant à la fois de bonnes intentions et d’anathèmes. Une sorte de prétention à décréter le bien et le mal, de prophétisme chevaleresque légèrement neuneu. Un péché même pas mignon qui semble désormais très partagé chez les élus politiques, les représentants de communautés, les responsables d’associations. Surtout que l’indignation et la condamnation de principe, cela ne mange pas de pain, cela ne coûte pas un rond, et cela fait du bien à l’égo. Regardez comme je suis bon, constatez comme ils sont méchants.

On a pu voir ainsi les troupes sautillantes du PS quitter solennellement la salle du Conseil national à Berne, comme s’il s’agissait d’une vulgaire arrière-salle de bistrot, en apprenant qu’une délégation du parlement hongrois était présente à tribune, emmenée par son président. Un parlement démocratiquement élu, rappelons-le.

Mais voilà, la plus élémentaire des courtoisies semble oubliée dès qu’il s’agit d’un ancien pays de l’Est, de gens qui ont eu le culot de souffrir sous le joug communiste imposé par les satrapes soviétiques durant 45 ans. Et surtout qui ont le tort aujourd’hui de n’être pas tout à fait rentrés dans le sacro-saint moule bruxellois, hors duquel tout n’est plus qu’erreur, hérésie et fascisme rampant.

La Hongrie de Viktor Orban ainsi que les autres pays du groupe dit de Visegrad, ont ainsi l’outrecuidance, entre autres menues vilenies, de trouver la politique d’immigration décrétée par l’Union européenne comme trop généreuse, donc chaotique et menaçante. Dès lors, face à ces Européens de seconde zone et qui pensent de travers, bouchons-nous le nez, étalons crânement notre sectarisme, notre bonne conscience et nos mauvaises manières.

D’autres belles âmes, tous partis confondus cette fois, n’ont pas été loin de se faire sauter la panse: ces élus du Grand Conseil du canton de Vaud décrétant pompeusement l’état d’urgence climatique et assignant comme tâche prioritaire à cette vénérable institution, la lutte contre le réchauffement global, rien que ça.

Comme si des déclarations solennelles venant s’ajouter à des milliers d’autres allaient pouvoir changer quoi que ce soit aux évolutions climatiques. Comme si le climat n’était pas avant tout et uniquement sensible aux actes forts et mesurables, comme le rappelait récemment l’ancien conseiller national PS René Longet: «Un tiers de la facture pétrolière est alimenté par la mobilité. Or les déplacements (en avion et en voiture) pour les loisirs sont aujourd’hui plus importants que ceux pour des motifs professionnels et le parc automobile suisse devient de plus en plus puissant et lourd. Tout cela relève exclusivement de nos décisions individuelles.»

Un parlement réellement soucieux de son rôle et qui voudrait réellement prendre sa part dans la lutte contre l’urgence climatique saurait bien ce qui lui resterait à faire: voter des lois contraignantes et puissamment impopulaires favorisant uniquement les déplacements à pied, à vélo ou à cheval. Tout le reste n’est qu’orgueilleux et vain babil.

Autre tempête au fond de la mare, du côté de Genève: des associations s’indignent du traitement réservé par les médias et le monde politique d’ici à l’épouvantable et lâche attentat de Christchurch (Nouvelle-Zélande), leur reprochant de ne pas en faire assez. Sous-entendu par rapport aux habituels attentats islamistes. Ce qui s’appelle coasser contre le vent. Jouer de la concurrence victimaire, n’est-ce pas le pire service à rendre à n’importe quelle communauté? Le pire hommage à rendre à n’importe quelles victimes? À moins de penser que l’indécence et la haine seraient des formes de compassion et de respect appropriées.