Vu de l’occident, l’émir du Qatar passerait presque pour un homme discret si le quatrième sommet de l’OMC ne se tenait pas sur son territoire. Et si sa chaîne télévisée, Al Jazira, ne faisait pas l’événement depuis le début des frappes anglo-américaines en Afghanistan.
Le monde arabe, lui, n’a pas eu à attendre les frasques médiatiques de Ben Laden, ni la dernière conférence de l’Organisation mondiale du commerce pour s’en convaincre. Hamad ben Khalifa al-Thani a la réputation d’exaspérer ses voisins de la péninsule. Et les raisons de ce ras-le-bol ne sont pas uniquement liées à la liberté de ton que pratique celle qu’on appelle «la CNN du monde arabe». Elles sont aussi à chercher dans un ensemble de positions nouvelles et anticonformistes inaugurées à la suite de sa prise de pouvoir en juin 1995.
L’émir n’a que 45 ans lorsqu’il renverse son père, Khalifa ben Hamad al-Thani. Un coup d’état qui se fait en douceur alors que le cheikh père voyage en Europe. Mais ces méthodes relativement pacifiques ne doivent pas faire oublier le passé de soldat du jeune émir. Formé à l’Académie militaire royale de Sandhurst en Angleterre, il reste un adepte des manières fortes, et cela au risque de choquer les monarques voisins. Dans la région, on se souvient de sa sortie brusque du sommet du Conseil de coopération du Golfe (CCG) en décembre 1995, où il claque la porte pour exprimer son désaccord.
Pugnace, l’émir est déterminé à moderniser son pays et à le porter sur le devant de la scène. Sous son impulsion débute un ambitieux programme d’industrialisation qui s’appuie sur d’énormes réserves de gaz naturel. Mais cette volonté de sortir le Qatar de l’anonymat ne saurait se contenter d’un développement économique. Et l’émir, convaincu désormais de la nécessité d’y mettre les formes, revêt un costume de diplomate. Il se distingue alors en adoptant un ton résolument nouveau et casse une tradition de politique extérieure basée jusqu’ici sur le repli. Le rapprochement commercial opéré avec Israël durant ces dernières années en est le signe le plus probant.
Sur le plan intérieur, l’émir va vite s’imposer comme un réformiste. En 1996, l’année même où il crée Al Jazira avec des journalistes du service arabe de la BBC, il supprime dans le même mouvement le ministère de l’information. Une décision qui coïncide avec l’avènement de la liberté de la presse au Qatar. Puis, en 1999, d’autres réformes majeures sont introduites avec notamment une journée de la femme et l’élection au suffrage universel d’un conseil municipal consultatif.
Tous ces changements, destinés surtout à séduire les occidentaux, vont permettre d’offrir au pays l’image d’un état moderne où souffle un vent libéral. Du coup, Hamad ben Khalifa al Thani se paie celle d’un émir têtu, mais indépendant.
Qu’on ne s’y trompe pas, il s’agit bien d’une image, qui ne peut aucunement être confondue avec un modèle de démocratie. La générosité et le sens de l’équité dont se pare l’émir Hamad ont leurs limites. L’indulgence de His Highness, comme il aime à se faire appeler, ne s’est pas encore exprimée envers les responsables d’un coup d’état manqué en 1996. A moins d’une grâce accordée en dernier recours, ce ne sont pas moins de 19 personnes, dernièrement jugées coupables en appel, qui seront exécutées par pendaison ou par les armes.
On mesure mieux la gravité de cette décision, qui clôt le procès le plus important de l’histoire du Qatar, lorsque l’on sait que le cousin de l’émir figure parmi les condamnés.
Quant à la liberté de la presse dont Al Jazira reste le symbole le plus fort, elle n’est pas à confondre avec la liberté d’opinion. Louay Adbdulla, un ressortissant américain employé par le ministère des affaires étrangères du Qatar, vient de l’apprendre à ses dépens. Il est accusé d’être l’auteur d’un site web qui proposait aux internautes d’élire la femme la plus séduisante de l’émirat. Un crime aux yeux de His Highness, qui n’a pas supporté que sa propre femme figure parmi les choix proposés au public.
On n’insulte pas impunément l’émir. Louay Abdulla vient d’être condamné, sans preuve à charge, à deux ans de prison. Malgré les efforts de son comité de soutien et à moins d’un miracle, il est désormais peu probable que ce jugement soit révisé.
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Le site du comité de soutien à Louay Abdulla.
Le site du gouvernement du Qatar .