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Le syndrome Galladé

La démission fracassante de l’ancienne parlementaire socialiste Chantal Galladé apparait comme le symptôme des difficultés pour un courant à la fois sécuritaire, européiste et social-libéral de garder sa crédibilité à gauche.

Qu’est-ce qu’une Marie-Chantal? Personnage créé en 1956 par le dandy Jacques Chazot, on dira qu’il s’agit, en gros, d’une femme snob au-delà du raisonnable, coupée des réalités sociales et tenant des propos ridicules. Le parti socialiste suisse ne semble pas loin de vouloir ajouter un prénom à son ancienne conseillère nationale, la Zurichoise Chantal Galladé, encartée depuis trente ans, dont quinze sous la coupole.

Coupable comme on sait, la politicienne, d’avoir brutalement démissionné du parti pour rejoindre les Vert’libéraux. Avec quand même une raison plutôt solide: le refus pour l’heure du PS, sous la poussée de son aile syndicale, d’entériner l’accord cadre avec l’Union Européenne. Un peu raide, a jugé Galladé, de la part d’une formation tellement europhile que l’adhésion figure encore dans sa charte. Ajoutant cet uppercut en guise d’au-revoir: «Une bonne relation à l’Europe est centrale pour l’avenir de nos enfants et de nos places de travail. Il y a avec cet accord cadre bien trop en jeu pour qu’un parti puisse se contenter de rester borné sur sa ligne idéologique».

Les réactions offusquées des camarades, assorties de bonnes giclées de fiel, n’ont pas tardé. Se résumant pour la plupart à traiter la dissidente Galladé d’ingrate et d’opportuniste: «Elle fait de la politique pour sa carrière personnelle» assène ainsi Carlo Sommaruga. Quant à Ada Marra, vice-présidente du parti, elle se dit benoîtement «surprise que quelqu’un qui s’est nourri pendant vingt ans des votes socialistes fasse croire qu’il n’y a pas de possibilité de s’exprimer au PS». Comme si le PS ou quiconque était propriétaire des votes d’adultes majeurs et vaccinés.

Ada Marra ensuite explique le fond de sa pensée et prononce la formule magique: «Je ne dis pas que la question de l’accord cadre ne fait pas débat à l’interne. Mais pour nous le mot social reste important.» Sous-entendu, ou presque, pas comme pour cette vieille pantoufle de droite qu’aurait toujours été Galladé. C’est aussi une forme d’ingratitude que dénonce le big boss Christian Levrat, avouant peiner à comprendre qu’on puisse, après tant d’années passées au bercail, tout jeter à la moindre divergence d’opinion et montrer si peu d’attachements à la famille. D’autre sous couverts d’anonymat vont plus loin et parlent d’une «politicienne surestimée».

Bref les étiquettes collées à Chantal Galladé par ses anciens amis, ressemblent un peu, toutes proportions gardées, à celle que la mafia réservait aux repentis ou l’URSS aux transfuges. Politicienne surestimée, on ne sait pas, mais mal aimée, c’est sûr, et cela ne date pas d’hier. C’est moins sur les questions européennes, cause aujourd’hui du divorce, que sur la politique de sécurité que Chantal Galladé a souvent navigué en marge de la doxa socialiste. Une vieille valeur de gauche pourtant, la sécurité, et qui ne se résume pas, n’en déplaise à Ada Marra, à la sécurité sociale.

La boboïsation rampante des partis progressistes, en Suisse comme en Europe, accompagnée d’un gauchissement des positions économiques jadis modérées de la sociale-démocratie, a rendu compliquée l’existence d’une gauche refusant l’angélisme, la culture systématique de l’excuse, la propension à voir dans le moindre petit malfrat un damné de la terre, mais aussi la culpabilisation pathologique de l’entreprise. En France la carrière d’un Manuel Valls, qu’on pourra difficilement qualifier de politicien surestimé, n’aura pas survécu à ces tendances lourdes.

Il est assez piquant de voir ceux qui roulent aujourd’hui main dans la main avec l’UDC pour torpiller l’accord cadre, accuser de dérive droitière les tenants, comme Chantal Galladé, d’une ligne sociale-libérale. Comme le dit Daniel Josistch, conseiller aux Etats socialiste, avouant partager les critiques de Chantal Galladé contre le parti, mais sans rompre: «La politique n’est pas un zoo pour enfants, mais une lutte difficile pour défendre des positions.»