LATITUDES

Un parfum de Coco Chanel

Des bords du lac Léman au Signal de Sauvabelin, une charmante promenade ponctuée des souvenirs des années lausannoises de la grande créatrice.

Sa tombe est l’une des plus demandées par les visiteurs du Bois-de-Vaux, le cimetière et l’un des parcs publics lausannois les plus visités. L’une des plus élégantes, aussi. D’une beauté intemporelle, aux proportions parfaites  loin de toute ostentation, la dernière demeure de Coco Chanel est à l’image de ses créations éternelles. Au point qu’il nous a fallu l’aide d’un jardinier du cimetière pour la trouver. Elle n’est d’ailleurs pas la seule célébrité: le baron Pierre de Coubertin y repose non loin, ainsi que Paul Robert, le père du fameux dictionnaire.

Le monument était juste là, derrière un carré de haies à la section 9. Des rayons de soleil illuminent le marbre dressé de sa stèle funéraire. Blanc évidemment, sa couleur emblématique, tout comme le petit banc à sa gauche et le parterre de camélias, sa fleur préférée qui lui inspira plusieurs motifs de joaillerie. On y a sculpté des lions, son signe astrologique, au nombre de 5, son chiffre fétiche qui fut aussi celui de son premier parfum, qui demeure le plus connu et le plus vendu au monde. La légende dit que sa bouteille si sobre s’inspira, dès 1921, d’un flacon de vodka de la garde impériale russe grâce à une esquisse du cousin du tsar Nicolas II, son amour d’alors.

Gabrielle Chanel, dite Coco, vécut en partie à Lausanne durant les vingt-six dernières années de sa vie. Si la célèbre styliste et créatrice de la maison Chanel se montra discrète dans son exil, son attachement au bord du Léman et à «sa vue à nulle autre pareille» fut réel au point qu’elle tint à être inhumée ici, après son décès qui survint le 10 janvier 1971 dans sa chambre parisienne du Ritz. C’était un dimanche, et elle rentrait de promenade, impeccable comme toujours. Elle chuchota «c’est ainsi que l’on meurt» dans un dernier souffle.

Chambre 450 ou 451

Direction l’hôtel du Beau-Rivage Palace où Mademoiselle Chanel, qui avant-guerre révolutionna le monde de la mode, se réfugia à la Libération. L’égérie parisienne des Années folles quitte l’Hexagone, suspectée à tort ou à raison de compromission avec l’ennemi. Elle connaît le palace des bords du lac depuis 1938, y loge longtemps et y reviendra même après avoir acheté la maison du Signal, sur les hauts de la ville. On dit qu’elle sortait peu de sa chambre, profitant souvent du panorama depuis son balcon, ne fréquentant les salons en bois précieux que pour y retrouver des amis et noms connus de l’époque. «Mademoiselle Chanel logeait dans la chambre 450 ou 451», relève Sylvie Gonin qui dirige depuis 1995 la conciergerie du prestigieux cinq-étoiles. Les tons y sont toujours pastel, mais la décoration a été revisitée lors de l’importante rénovation de l’aile par Pierre-Yves Rochon. Déjà à l’œuvre au George V à Paris ou, plus près d’ici, au Grand Hôtel du Lac à Vevey, il s’est inspiré de la palette de teintes apaisantes du panorama lémanique immuable.

Avant de partir, un crochet par le jardin. Là, face au lac, sous les arbres majestueux se trouve le fameux cimetière pour animaux de compagnie «créé au début du XXe siècle pour les compagnons à quatre pattes des clients qui séjournaient à l’année». Impossible de vérifier la légende selon laquelle y repose le chien de Coco Chanel. Les dalles funéraires carrées encore déchiffrables n’en font pas mention. Et ensevelir un animal dans un jardin, fut-il aussi beau qu’ici, est interdit

En montant au Signal de Sauvabelin, il convient de s’arrêter au centre-ville du côté du Lausanne-Palace où Coco Chanel résidait en alternance. On nous assure que c’était bien parfois dans l’une des suites qui porte son nom, au 5e étage évidemment. Les tons bleu ciel et crème s’inspirent de son univers créatif. La vue sur le Léman est, une fois encore, saisissante.

«Ma petite maison suisse»

L’arrêt «Lisière» de la ligne 16 des Transports publics lausannois nous dépose à la hauteur de la Villa du Signal que la créatrice acheta en 1966, l’appelant «ma petite maison suisse». La demeure date de la fin du XIXe siècle, à l’origine pour y abriter un collège privé. De hautes haies et un large portail automatique empêchent d’apercevoir autre chose que le séquoia géant du parc. On ne saura pas si les magnolias y fleurissent toujours. L’histoire dit que la modiste avait d’abord jeté son dévolu sur la grande bâtisse voisine, le château du Signal, qui sera habité par David Bowie durant ses années lausannoises.

Coco à Lausanne, ce sont aussi les promenades dans le bois tout proche, son chauffeur en Cadillac roulant au ralenti à quelques pas, ou encore des incursions au Chalet-des-Enfants, l’auberge installée depuis le XIVe siècle dans un écrin de verdure du Mont-sur-Lausanne. Et l’on se dit que c’est peut-être dans l’un de ses lieux lausannois, et non dans sa chambre du Ritz ou son appartement de la rue Cambon que Coco Chanel prépara son grand retour parisien. En 1956, son tailleur Chanel y triomphe avant de conquérir le monde entier.

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Une version de cet article est parue dans The Lausanner (no 2)