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Le culot en acier, c’est tendance

Au royaume du profil bas, Pierre Maudet sera resté jusqu’au bout un oiseau rare. Jusqu’à démontrer que le courage n’est pas forcément toujours vertueux.

La provocation n’est pas un sport particulièrement pratiqué en Suisse. Question peut-être d’humeur générale, calquée sur un climat qui peine à se définir. Tempéré, c’est bien joli, mais cela ne favorise pas trop, justement, le tempérament. Question aussi, bien sûr, de tradition, dans un pays où le vocable «consensus», malgré les apparences, n’est pas un gros mot.

Pourtant 2019 semble démarrer sous le signe du toupet monstre, un label là encore guère estampillé «Swiss made». Ceux qui osent tout, et dont la doxa rabâche volontiers que c’est à cela qu’on les reconnait, paraissent avoir le vent inhabituellement en poupe au royaume du profil bas.

C’est ainsi que des étudiants et des lycéens essayent de faire croire que s’ils sont en grève, c’est vraiment pour sauver la planète. Ou que le ministre des affaires étrangères Ignazio Cassis s’en va tranquillement servir la soupe à l’ogre Glencore. On ne parle pourtant ici que d’amateurs. Il y a plus fort, bien plus fort, dans le genre culot en acier blindé.

On pense au roi Maudet, évidemment, que des ennuis par escadrilles ont transformé en roi maudit. Lâché et vilipendé par tous, y compris les caciques et la direction de son parti. Traqué par la justice. Moqué par les médias et la rue. Humilié par le gouvernement dont il persiste à vouloir rester membre, alors qu’on vient de lui retirer son cher doudou de la sécurité. Qu’importe, il ne lui aura suffi que d’un demi-rayon de soleil, une éclaircie aussi brève qu’unique, une hirondelle égarée qui ne fera jamais le printemps, pour se remettre sans mollir à jouer l’air qu’il connaît le mieux: celui de la fanfaronnade.

Soutenu d’extrême justesse par les militants du PLR genevois – 341 voix contre 312 cela ressemble à tout sauf à un plébiscite – Pierre Maudet semble donc resurgir de son infâmant placard avec la fougue d’un mort-vivant. On le voit ainsi dégainer sa sulfateuse, comme au bon vieux temps, et défourailler à tout va, notamment contre ses anciens amis, tel le conseiller national Christian Luscher «que je savais brillant avocat, et que je découvre ce soir procureur».

Remonté comme un coucou, Pierrot le Zombie bombe à nouveau un torse qu’on croyait criblé de cicatrices rédhibitoires: «Je ne veux plus me laisser accuser de tout et n’importe quoi.» Parmi ce sulfureux mélange de tout et de n’importe quoi, l’indestructible magistrat consent tout juste à reconnaître un «faux pas» du côté d’Abou Dhabi. Pour le reste, c’est circuler il n’y a rien à rien à voir, Maudet paraissant avoir fait sien le mantra des plus durs d’entre les durs de durs: n’avouez jamais.

Le fisc fraudé? Calembredaines. De l’argent public utilisé à des fins bassement électorales? Carabistouilles. Des intérêts privés indument favorisés? Billevesées. Ce qui permet au conseiller d’Etat d’enfiler ensuite la duveteuse et vertueuse tunique de Caliméro. De se présenter en «homme, qui encaisse depuis des semaines des attaques ininterrompues d’une grande violence».

Ne lui reste alors plus qu’à faire semblant de croire que tout sera de nouveau comme avant. À demander sans vergogne et sur le ton de la probité candide de pouvoir «refaire de la politique, avec cran, avec cœur». Et même à nouveau «de se battre au service de la République».

Cet homme, on le voit, n’a peur de rien et surtout pas de ses propres fautes. C’est déjà quelque chose, pourra-t-on se dire, dans cet environnement politique inodore déjà évoqué où la norme serait plutôt de trembler devant sa propre ombre.

Sachant bien ce que cette intransigeance peut avoir d’inhabituel, même au pied de l’inextinguible Jet d’eau, même au cœur de l’impertinente république genevoise, Maudet pousse la rouerie jusqu’à devancer même ce reproche-là: «ne prenez pas pour de l’arrogance ma détermination».

Certes des mauvaises langues, à l’intérieur même du sérail radical, vont répétant à propos de leur ministre en perdition, que «même si Dieu le père lui demandait de démissionner, il ne le ferait pas». Mais de l’arrogance? Où donc Maudet est-il allé chercher cette idée-là? De l’arrogance? Allons donc: le mot est bien trop faible.