KAPITAL

Les vers de farine: le futur de l’alimentation animale

Ynsect est le leader de la fabrication de protéines à base d’insectes. La start-up se lance dans un quatrième tour de financement pour construire une nouvelle usine.

La start-up française Ynsect produit des ingrédients à base de vers de farine qui entrent dans la fabrication d’aliments pour les animaux d’élevage et de compagnie. La société, qui emploie aujourd’hui plus de 100 personnes, a levé près de 40 millions d’euros entre 2014 et 2016. Elle vient de lancer un nouveau tour de financement afin de construire une nouvelle unité de production en France et commercialiser ses préparations dans le reste de l’Europe et en Amérique du Nord. Rencontre avec Antoine Hubert, CEO et cofondateur d’Ynsect.

Comment la société Ynsect a-t-elle pris forme?

Antoine Hubert: Avec un de mes associés, nous avons d’abord créé une association dans le but de sensibiliser les enfants à l’alimentation durable et au recyclage alimentaire. Lorsque nous réfléchissions sur les sujets à présenter, nous avons évoqué le cas du recyclage par les insectes. Ce qui était initialement un projet associatif s’est ensuite transformé en une volonté d’avoir un impact plus global sur la production d’aliments pour animaux. Nous avons donc créé la société Ϋnsect en 2011 en nous focalisant principalement sur des marchés au potentiel de développement important.

Quelles sont les perspectives du marché des protéines à base d’insectes?

Nous voulions nous lancer comme une alternative durable et écologique aux farines animales en exploitant une matière première inédite: les insectes. Mais nous avons dû tester plusieurs espèces d’insectes différentes: des mouches, des criquets, et finalement des molitors, plus communément appelé vers de farine. Cette dernière espèce présente un avantage certain car elle nous permettait de nous situer sur le marché premium des ingrédients destinés aux poissons d’élevage et aux animaux de compagnie comme le chien et le chat.

En effet, ses caractéristiques nutritionnelles sont impressionnantes, avec des gains importants en matière de croissance des poissons, et une réduction de la mortalité et du stress des animaux. Nous avons toutefois dû mener des essais dans des centres de recherche publics sur des animaux. Nous voulions savoir si ces derniers réagissaient bien à nos protéines et aux huiles à base de molitor, ce qui fut le cas.

Comment se déroule la fabrication de la farine?

Comme nous sommes actifs dans l’élevage et la transformation du molitor, nous avons la matière première à disposition. En soi, l’extraction de la protéine et de l’huile suit le même procédé que celle des tourteaux de soja ou de l’huile de colza. Une fois élevées, les larves de molitor passent en étuve pour être stérilisées. Une presse mécanique permet alors d’extraire l’huile. De cette pression reste une pulpe sèche, qui est broyée sous forme de farine. L’huile et la poudre de protéines ainsi obtenues sont ensuite utilisées dans la création d’aliments pour animaux.

Quels obstacles avez-vous dû surmonter?

Nous avons d’abord dû attendre l’autorisation de la Commission européenne pour commercialiser nos produits sur le marché de l’alimentation des poissons d’élevage. Afin de donner un sens à notre action, nous avons créé le syndicat européen de la filière «insecte» (IPIFF – International platform of insects for food and feed). Ensuite, il était nécessaire de pouvoir produire d’importants volumes de protéines à un coût moindre. Avec mes collègues, nous avons pris le temps d’évaluer toutes les techniques et de les perfectionner afin d’avoir un produit non seulement compétitif du point de vue nutritionnel et de son prix, mais également au niveau de sa fabrication.

Comment vous démarquez-vous de la concurrence?

Actuellement, nous sommes leaders dans notre domaine des ingrédients premium à base d’insectes, avec plus de 25 brevets déposés. De plus, comme nous voulons agir dans un but durable, nous réutilisons tout dans l’élevage des molitors. Ainsi, les déjections d’insectes servent de fertilisants, notamment pour la culture de la vigne, du maïs et du blé. Ces déjections offrent d’ailleurs de meilleurs résultats que les engrais chimiques et nous observons une demande importante sur ce marché. Ce dernier est estimé à 200 milliards de dollars, dont une dizaine de milliards uniquement pour les fertilisants organiques.

 Vous menez actuellement une quatrième levée de fonds, en collaboration avec une banque américaine…

Effectivement, nous devons mener un autre round d’investissement afin de créer notre nouvelle usine à Amiens (France). Sur une surface totale de 18 hectares, cette unité sera un concentré de technologies, automatisée et utilisant l’intelligence artificielle pour démultiplier la productivité du site. Nous pourrons ainsi produire plusieurs dizaines de milliers de tonnes de protéines par an, contre quelques centaines de tonnes actuellement.

Quels sont vos objectifs commerciaux?

Nous avons déjà conclu plusieurs contrats pour l’année prochaine, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d’euros. Avec la nouvelle usine à Amiens, nous pourrons nous focaliser sur une production franco-européenne, tout en démarchant le marché nord-américain. Le continent présente en effet de grandes opportunités: le Canada avec son fameux saumon, le Mexique et ses crevettes ou encore l’alimentation pour animaux domestiques aux Etats-Unis. Sans oublier le secteur des engrais.

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Une version de cet article est parue dans le magazine en ligne Technologist, qui traite l’actualité de la recherche et de l’innovation en Europe.