LATITUDES

Une campagne qui ébranle le modèle du médecin tout-puissant

Le mouvement «Choisir avec soin» lutte contre la surconsommation de médicaments et d’examens. Figure de proue de cette démarche, la Canadienne Wendy Levinson plaide pour le dialogue entre personnel médical et patients.

Limiter le recours à des mesures médicales inutiles: c’est le principe qui anime le mouvement «Choisir avec soin». La Canadienne Wendy Levinson a participé à son lancement en 2012. La professeure de médecine à l’Université de Toronto préside aujourd’hui la campagne canadienne de «Choisir avec soin» et coordonne son expansion au niveau international.

Pensez-vous que nous consommons trop de médecine?

La médecine est souvent basée sur l’idée que plus l’on effectue d’actes, mieux le patient s’en portera. Or, cette idéologie est souvent nocive, à la fois pour le bien-être du patient et pour l’ensemble du système de santé. Dans la pratique, plusieurs facteurs favorisent la surmédicalisation. Il s’agit parfois d’une question de temps: plutôt que d’expliquer au patient pourquoi il vaut mieux éviter de pratiquer un examen, ou de prendre un médicament, les médecins préfèrent les prescrire directement. Dans certaines régions, comme en Amérique du Nord, les médecins craignent les poursuites judiciaires. Ils s’efforcent donc de ne prendre aucun risque. Ils multiplient les examens et les traitements pour s’assurer de ne rien laisser au hasard.

La campagne «Choisir avec soin» cherche à changer cet état d’esprit.

Cette campagne («Choosing Wisely», en anglais) tente de modifier les rapports entre médecins et patients à travers la participation active de ces derniers aux choix médicaux qui les concernent. Par une information plus complète du fonctionnement des examens, de leur impact et de leur nécessité, nous souhaitons combattre les traitements superflus. Le mouvement repose ainsi sur une meilleure communication entre le médecin et le patient afin d’agir au mieux face à une maladie. Pour guider les prises de décisions, «Choisir avec soin» se fonde principalement sur quatre questions: ce test ou traitement est-il vraiment nécessaire? Quels sont les effets collatéraux? N’y a-t-il pas une solution plus sûre et plus simple? Et, que se passe-t-il si l’on ne fait rien?

Qu’est-ce qui vous a poussée à vous engager sur ce thème?

Durant ma carrière de médecin interniste, mes recherches et mon intérêt personnel se sont orientés vers la question des échanges entre les médecins et leurs patients. J’ai souvent mesuré l’importance d’engager une véritable discussion avant d’opter pour un traitement ou un test médical. Dans de nombreux cas, les patients arrivent avec le désir d’obtenir un certain traitement, mais ils en ignorent les véritables effets et enjeux sur leur santé. «Choisir avec soin» m’a permis de travailler sur ces questions à plus large échelle. J’ai ainsi participé au lancement de la campagne aux États-Unis, avant de l’importer, deux ans plus tard, au Canada.

Concretement, comment s’est développé le mouvement?

Il était évident dès le départ que la campagne allait dépendre de l’engagement des médecins. Une des premières étapes a été de les convaincre que la lutte contre la surmédicalisation grâce à une meilleure discussion avec le patient fait intégralement partie de leur profession. Nous avons ensuite demandé à différents praticiens d’établir des listes de cinq tests ou procédures dans leur propre discipline pour lesquels des résultats scientifiques témoignent d’effets secondaires indésirables, afin d’en dresser une sorte de catalogue.

À quoi sert ce catalogue?

Associé à des listes de maladies pour lesquelles l’implication des tests et des traitements est précisément détaillée, ce catalogue sert de ressource à la discussion avec le patient. Mais plus que de simplement mettre à disposition conseils et matériaux, «Choisir avec soin» tente de s’implanter dans la pratique médicale afin d’aider les groupes de médecins, mais aussi les infirmiers, les pharmaciens et les dentistes, à modifier leurs pratiques. Une autre partie de la campagne consiste à sensibiliser les étudiants en médecine à cette démarche en les formant à la discussion avec le patient et en insistant sur l’importance d’une véritable collaboration dans la prise de décisions médicales. La campagne ébranle le modèle du médecin tout-puissant qui dit au patient exactement ce qu’il doit faire et accorde davantage de pouvoir à ce dernier.

Des initiatives concrètes?

À l’hôpital pédiatrique SickKids, au Canada, le Dr Jeremy Friedman a lancé sa propre campagne «Choosing Wisely». Celle-ci s’applique aux enfants atteints du purpura thrombopénique idiopathique, une maladie qui touche les plaquettes sanguines. Dès le diagnostic, les jeunes patients recevaient automatiquement une transfusion, alors que celle-ci n’est pas bénéfique dans tous les cas. SickKids a ainsi réussi à réduire de 88% à 50% le nombre d’enfants transfusés pour cette maladie, ce qui permet à la fois de préserver la santé du patient en ne lui infligeant pas des soins inadaptés, et d’économiser du sang, une ressource précieuse.

La campagne a-t-elle suscité des oppositions?

Étonnamment, non. Même pas du côté de l’industrie pharmaceutique qui doutait de la réelle influence de ce mouvement. Dans la plupart des pays participants, les médecins accueillent la campagne de manière très positive. Le problème de la surconsommation de médicaments se situe bien souvent du côté des patients. Ils se rendent chez le médecin dans l’objectif d’obtenir un certain médicament. S’ils ne l’obtiennent pas, ils ont tendance à prendre un autre rendez-vous ailleurs. Les outils fournis par «Choisir avec soin» peuvent servir de soutien extérieur au médecin pour tenter de faire évoluer le rapport des patients à la consommation excessive de médicaments.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 16).

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