LATITUDES

La santé des garçons affectée par les stéréotypes

Fierté et résistance à la douleur, force physique et mentale: pour ces attributs qu’ils pensent devoir afficher en tant qu’hommes, les jeunes garçons tardent à consulter. Diverses initiatives tentent de renverser ces idées d’un autre temps.

Le forum de la plateforme Ciao.ch recueille de nombreuses questions d’adolescents qui s’inquiètent pour leur santé. Exemples: «Bonsoir, avez-vous un conseil pour un médicament contre les angoisses?» Ou encore: «Lorsque je suis nu avec ma copine, je n’arrive pas à tenir une érection longtemps… que dois-je faire?» Pourquoi ces garçons préfèrent-ils échanger anonymement sur ce site suisse d’information et de discussion plutôt que de s’adresser à un médecin? «Avant et durant l’adolescence, lors de la construction de leur identité, les garçons sont souvent exposés à des stéréotypes rigides ayant trait à la notion de ‘masculinité’, constate Yusuke Takeuchi, chef de clinique à la Division interdisciplinaire de santé des adolescents du CHUV (DISA). Un homme doit faire preuve de stoïcisme. Fort et courageux, il doit pouvoir gérer seul ses problèmes de santé, surtout s’ils sont d’ordre psychologique ou sexuel. Parmi d’autres nombreux facteurs, l’intégration de ces ‘normes’ stéréotypées, avec la crainte de nuire à leur virilité, entrave leur accès aux soins.»

Pourtant, les garçons requièrent une attention toute particulière: leurs prises de risques à l’adolescence, tant en matière de consommation de substances illicites que de violence, sont plus fréquentes et plus importantes que chez les filles. Plusieurs travaux du médecin américain David Bell, grand spécialiste de l’adolescence et de la santé masculine, attestent que ces mêmes clichés autour de la masculinité (absence d’émotions, domination, force physique, etc.) expliquent en partie ces comportements. Il met en garde dans la revue américaine Pediatrics en 2013: «Sans prise en charge optimale à l’adolescence, ces prises de risques auront des effets néfastes sur la santé de l’adulte».

Un rapport français intitulé «Lutter contre les stéréotypes filles-garçons», publié en 2014, vient confirmer cette théorie. «Alors que les filles sont plutôt encouragées à formuler leurs soucis, les garçons sont incités par l’environnement social à se conformer au modèle masculin, viril et dur au mal. Ils sont ainsi moins enclins à exprimer une plainte liée à un problème psychologique ou somatique. Par ailleurs, en verbalisant moins leurs problèmes, ils ont davantage tendance à passer à l’acte et à adopter des comportements à risques.»

Sexe fort

Les disparités de genre sont d’autant plus fortes en matière de sexualité. «Des études montrent que les garçons, par rapport aux filles, ont souvent moins accès à de l’information en matière de santé sexuelle et reproductive, rapporte Yusuke Takeuchi. Ils se tournent aussi moins fréquemment vers des services de santé pour des problèmes dans ce domaine. Cela s’explique notamment par le fait que les jeunes femmes sont souvent amenées à consulter un gynécologue, par exemple pour des questions en lien avec leurs règles ou la contraception.» Ce contact avec le milieu médical est une occasion d’aborder toutes les questions qu’elles se posent. «Il est donc primordial de sensibiliser les professionnels de la santé aux besoins des garçons afin que tout contact avec un médecin permette d’élargir l’entretien à des questions sur la santé globale et la sexualité.»

À qui peut s’adresser un garçon? «Toutes les consultations de santé sexuelle de Suisse sont ouvertes aussi bien aux hommes qu’aux femmes», souligne Sylvie Jaquet, conseillère au sein de PROFA, fondation spécialisée dans toutes les questions liées à l’intimité. L’entité vaudoise a fait de l’égalité des sexes en matière d’accès à l’information et aux soins l’un de ses chevaux de bataille. «En 2009, nous avons changé de nom: nous sommes désormais un centre de santé sexuelle et non plus uniquement de ‘planning familial’. La planification de la famille et le contrôle des naissances sont encore aujourd’hui considérés comme étant de la responsabilité de la femme.»

Au-delà de la grossesse, le centre offre des consultations pour tous types de problèmes liés à la sexualité et à l’intimité de chacun (vaccins, prévention des IST, etc.). Ces efforts en matière de communication portent doucement leurs fruits. Ils étaient 99 garçons chez les 16-19 ans à venir consulter en 2010, contre 209 en 2017. «Lors de la prise de rendez-vous, ils peuvent choisir d’être reçus par un conseiller homme ou femme», précise Sylvie Jaquet.

Miser sur les nouvelles technologies

Sur le plan national, Santé sexuelle suisse a lancé en 2017 une application baptisée «Docalizr», qui oriente les hommes en cas de brûlures, démangeaisons ou pertes au niveau des parties génitales. Avec des slogans comme «Une relation se vit à deux, la contraception aussi», les campagnes publicitaires de la fondation ciblent aujourd’hui les deux sexes.Au CHUV, une consultation est réservée aux garçons âgés de 12 à 20 ans. «Elle est malheureusement encore sous-utilisée, regrette Yusuke Takeuchi, qui en est responsable depuis 2016. Nous venons d’organiser une séance de travail lors de laquelle des adolescents étaient présents pour donner leur avis en vue d’améliorer l’accès à cette consultation. La prise de rendez-vous par téléphone pendant les heures de bureau est une barrière en soi. Une possibilité de contact en ligne (par exemple via les réseaux sociaux), ne nécessitant pas de s’exprimer de vive voix d’emblée, est une piste que nous explorons pour faciliter le premier contact. De même, démédicaliser les préoccupations des adolescents en les recevant dans un endroit n’évoquant pas l’hôpital permettrait de les encourager à parler.»

Les spécialistes en santé sont néanmoins persuadés qu’une remise en question des stéréotypes masculins est la seule manière d’élargir l’accès aux soins aux garçons. «Les mouvements féministes ont permis aux femmes de repenser leur rôle dans la société, il est grand temps que les hommes le fassent aussi et se débarrassent de ces stéréotypes qui les empêchent d’avancer, note Sylvie Jaquet. Ce mouvement ‘d’émancipation’ est en marche, la lutte pour un congé paternité en est un signe. Mais nous sommes face à un changement sociétal profond, qui prendra énormément de temps.»

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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 16).

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