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Le marché de la coiffure ébouriffé par la concurrence

L’arrivée d’offres «low-cost» sur le marché des coiffeurs pour hommes a déséquilibré le secteur. Une nouvelle convention collective, entrée en vigueur en mars 2018, vise à mettre un peu d’ordre dans la branche.

Une version de cet article réalisé par LargeNetwork est parue dans cialis multiple attempts per dose.

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«Aujourd’hui, des coiffeurs ‘low-cost’, à 20 francs la coupe, sans aucune qualification, s’installent partout en ville. Je ne comprends pas pourquoi ils ont le droit d’exercer. Tout le métier est pénalisé», tempête ce coiffeur romand chez qui le prix de la coupe est d’environ 50 francs. Depuis quelques années, le nombre de salons bon marché continue de progresser, mettant en difficulté les professionnels pratiquant les tarifs classiques.

En 2015, on comptait 11‘145 entreprises de salon de coiffure en Suisse. Ces trois dernières années, le nombre de salons a augmenté de près de 600 dans le pays (+ 5.4%), selon une enquête de la Neue Zürcher Zeitung. Dans certains cantons comme Berne, Vaud, ou Bâle, trois ouvertures sont enregistrées pour une fermeture.

Guerre des prix

«Ils assassinent le métier», s’indigne Paolo Canu. Le coiffeur d’origine italienne exerce depuis plus de cinquante ans aux Pâquis, un quartier de Genève particulièrement touché par l’éclosion de salons bon marché. «Le nombre de mes clients a chuté de 20% avec leur arrivée sur le marché, il y a environ trois ans.» Chez Paolo, la coupe est à 26 francs depuis une décennie. «Je ne sais pas comment les coiffeurs ‘low-cost’ font pour payer correctement leurs employés sans fermer boutique.»

Un coiffeur traditionnel dans une ville comme Genève peut réaliser un chiffre d’affaires d’environ 10’000 francs par mois sur la base d’un gain horaire de 90 francs et d’un taux d’occupation des sièges de 60%, estime Damien Ojetti, président de l’association patronale Coiffure Suisse. Les charges standards pour le loyer sont égales à 10-12% du chiffre d’affaires et le coût des produits d’environ 8 à 10%.»

«Ubérisation» des salons

Pour expliquer l’avènement des prix cassés, Damien Ojetti cite le retour en force des barbiers grâce à la mode «hipster» et le développement du phénomène de fausse indépendance. Le responsable de Coiffure Suisse souligne que les salons, à l’instar des taxis, ont connu une véritable «ubérisation»: «La location de fauteuils est devenue courante. Certains employeurs, pour arrondir leurs fins de mois, louent des sièges à ce que l’on appelle des faux-indépendants. Ce n’est légal qu’à des conditions strictes, que certains ne respectent pas.» En louant un fauteuil, le locataire subit moins de charges qu’avec un salon, et peut alors pratiquer des prix de coupes très inférieurs aux tarifs classiques. Mais en étant soumis aux heures d’ouverture du salon et en utilisant ses équipements, ces «indépendants» sont légalement des employés.

Si les salons dédiés à la gent masculine ont envahi les rues, c’est aussi une affaire de tendance, indique Damien Ojetti: «À partir des années 1980, la mode était devenue unisexe y compris les salons de coiffure. L’homme a été un peu négligé en tant que tel. Il a suffi de quelques célébrités barbues, avec des coupes de cheveux spéciales, pour qu’il redevienne client de services exclusivement masculins.»

Une évolution qui fait le bonheur de centaines d’entrepreneurs plus ou moins qualifiés. La coiffure masculine nécessite moins d’investissement, en temps notamment. Rarement de brushing, moins de séchage, de shampoing, et de coloration. Et alors que dans un salon traditionnel le client paie jusqu’à 50 francs pour une coupe qui prendra 45 minutes à réaliser, certains coiffeurs parviennent à exécuter une coupe en 20 minutes pour un tarif de 20 francs. Le personnel affiche parfois des compétences se limitant à un seul type de coupe, et n’a donc pas nécessairement suivi de formation. Une situation courante, puisqu’en Suisse, tout un chacun peut exercer la profession sans posséder de diplôme.

Avant le mois de mars 2018, nombreux étaient les employés frontaliers ou étrangers à être sous-payés. Le personnel non qualifié, sans aucune formation, n’était pas soumis à la convention collective des coiffeurs et ne profitait donc pas de la protection d’un salaire minimum.

Salaires minimaux garantis

Fruit de plusieurs mois de négociations entre les employeurs et les syndicats, la nouvelle réglementation prévoit désormais des salaires minimaux pour les coiffeurs qualifiés, semi-qualifiés et non-qualifiés, échelonnés sur cinq ans de pratique. Au bout de cinq ans, un employé avec une formation reconnue par l’Etat doit recevoir un minimum de 4000 francs par mois, et un employé sans formation officielle un minimum de 3800 francs.

La convention vise à rétablir un contrôle efficient du marché. Toutes les entreprises doivent s’y soumettre. «Quand nous soupçonnons qu’il y a du travail au noir, nous collaborons avec les autorités», indique Caroline Ayer, du syndicat Unia. Si une infraction est constatée, le salon est amendable.» La vérification des jours de congé accordés, l’inscription aux assurances sociales, et le versement des salaires minimaux sont notamment passés au peigne fin, c’est le cas de le dire, lors des contrôles de la commission paritaire.

Gains non déclarés

La nouvelle convention collective ne fait pas l’unanimité. Certains responsables de salons se plaignent des indemnités de départ trop élevées pour les plus de cinquante ans, et des salaires minimums qui les obligent à réduire le temps de travail de leurs employés. «La logique n’est pas la bonne, même si elle vise à protéger le marché, dit le gérant d’une chaîne de salons qui préfère garder l’anonymat. Débourser de telles sommes est impossible pour certains employeurs. Il n’est pas rare qu’un chef d’entreprise gagne moins que son employé!»

L’entrepreneur est responsable d’une vingtaine de salariés. Pour lui, il existe un réel manque de contrôle. Les zones frontalières sont particulièrement exposées à la fraude. «Il est connu en France que la Suisse représente un eldorado de la coiffure. Neuf CV sur dix que je reçois viennent de frontaliers. Je connais des employées qui travaillent à 100% pour 2000 francs par mois en plein centre-ville. Je ne les blâme pas: en France, les mêmes personnes gagneraient 1500 euros, donc c’est logique. Le marché pour moi n’est pas contrôlé, c’est de l’esbroufe. Aujourd’hui dans la coiffure, celui qui fait de l’argent, c’est celui qui exerce au noir, ou emploie au noir.» Selon Damien Ojetti, les résultats de la mise en place de la nouvelle convention ne seront observables que dans six mois.