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Maurice Cosandey, l’Alfred Escher suisse romand

Décédé il y a quelques jours, le père fondateur de l’EPFL Maurice Cosandey a joué un rôle-clé dans le développement économique de la Suisse romande.

Les livres d’histoire nous remémorent le rôle clé joué par Alfred Escher dans le développement de la Suisse moderne. Il est en effet le père du développement du système ferroviaire suisse, du Crédit suisse, de Swiss Life. Plus important encore, c’est à Alfred Escher que l’on doit la création de l’ETH de Zürich, une école qui aura permis à la Suisse de prospérer pendant la période de la révolution industrielle.

Il y a quelques jours, on apprenait avec tristesse le décès de Maurice Cosandey dans sa 101ème année, un homme qui a changé le destin de la Suisse romande. En 1963, Maurice Cosandey prend la direction de l’EPUL, l’Ecole Polytechnique de l’Université de Lausanne, avec une idée directrice forte: fédéraliser l’EPUL pour permettre à la Suisse romande de bénéficier d’une école polytechnique fédérale. Pour parvenir à ses fins, il a dû convaincre le Conseil fédéral, les Chambres fédérales ainsi que le Conseil d’Etat et le Grand Conseil du Canton de Vaud.

Ce ne fut pas une tâche facile, mais il y est parvenu après cinq ans d’efforts intenses. Les votes quasi-unanimes des Chambres fédérales et du Grand Conseil vaudois conduisent à la création le 1er janvier 1969 de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne. L’EPFL rejoint ainsi le giron du domaine des Ecoles polytechniques fédérales. La grande sœur zurichoise se pencha alors sur le berceau de la petite sœur lausannoise avec un regard quelque peu dubitatif et condescendant.

Maurice Cosandey nous a quitté quelques semaines avant le 50ème anniversaire de la fondation de L’EPFL. Il aura eu cependant le plaisir de constater que la petite sœur de l’ETH de Zürich avait bien grandi et qu’elle fait partie aujourd’hui des meilleures universités technologiques mondiales.

Jean-Pierre Pradervand, conseiller d’Etat vaudois en charge de l’éducation dans les années soixante, et Hans-Peter Tschudi, le conseiller fédéral de l’époque en charge du Département de l’intérieur, père fondateur de l’AVS, ont joué des rôles clés dans la réalisation de l’idée visionnaire de Maurice Cosandey. J’ai eu le plaisir de rencontrer Hans-Peter Tschudi quelques années avant son décès. Il m’avait confié alors que la fédéralisation de l’EPUL était la réalisation dont il était le plus fier car elle avait contribué à ses yeux à la cohésion nationale en assurant le développement économique de la Suisse romande.

Simultanément, ce triumvirat a entrepris le déplacement de l’Université de Lausanne sur les berges du Lac Léman à Dorigny et le développement de l’EPFL sur les terrains adjacents de la commune d’Ecublens, qui appartenaient à la Confédération. Cette dernière les avait en effet achetés au début du 20ème siècle pour y développer un aéroport, projet qui avait été fort heureusement refusé par le peuple vaudois en 1946.

Un campus universitaire était né. Aujourd’hui plus de 30’000 étudiants et chercheurs y travaillent, le Swiss Tech Convention Center accueille de nombreux congrès scientifiques internationaux, des grandes compagnies technologiques y ont installé des centres de recherche, les start-ups y foisonnent. Récemment la RTS a pris la décision d’y installer son département «info». Elément symbolique fort, le Téléjournal, l’équivalent de la Tagesschau, sera produit dans un nouveau bâtiment situé au cœur du campus. Grâce à la vision de Maurice Cosandey, le campus des lausannois est devenu un poumon essentiel de la Suisse romande.

Quelles leçons tirer de cette belle aventure? Indéniablement, les individus sont la clé de voûte de tels projets visionnaires. Il est donc de notre responsabilité de soutenir les hommes et les femmes qui osent avoir des visions audacieuses. A cet égard, la chasse aux sorcières actuellement en cours en Suisse romande, touchant principalement des politiciens genevois et vaudois, n’est pas de bon augure. Curieusement, la presse suisse alémanique semble du reste en avoir pris le leadership. Même si ces politiciens ont commis des erreurs, ils n’ont, à ma connaissance, pas commis de crimes. Dans ce climat délétère et suspicieux, il est à craindre que les hommes et les femmes ambitieux et visionnaires risquent de penser à deux fois avant de se lancer dans l’arène publique.

Aujourd’hui plus que jamais, la Suisse a besoin d’individus tels qu’Alfred Escher ou Maurice Cosandey pour nous guider dans ce monde complexe en constante ébullition. Pour le bien des générations futures et de la Suisse de demain, sachons les reconnaître et les soutenir.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.