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Double Dame

L’élection sans surprise ni dramaturgie de Viola Amherd et de Karin Keller-Sutter donne l’image d’institutions apaisées, pour ne pas dire somnolentes. Au point qu’on en est encore à s’extasier que des femmes puissent accéder au Conseil fédéral.

Hitchcock n’était pas aux commandes ce 5 décembre. Ils ont pu vite se recoucher, fort déçus, ceux qui s’étaient levés matin pour assister au spectacle, plein d’arrière-pensées, spectacle étant devenu un synonyme hypocrite de massacre. Il n’y a rien eu à voir, hormis peut-être dans les travées la mine extraordinairement renfrognée de Guillaume Barazzone, allez savoir pourquoi.

La déception était particulièrement palpable chez les journalistes qui s’acharnaient à accomplir la mission pour laquelle ils sont payés: faire désespérément monter la sauce. Telle cette correspondante au Palais qui trouvait encore la force de s’extasier: deux femmes élues d’un coup, c’était extraordinaire et en plus elles rigolaient ensemble. Ce qui était manifestement une contre vérité – non pas la bonne humeur des deux nouvelles conseillères fédérales mais le fait qu’il y ait dans ce scénario quelque chose d’extraordinaire. C’est le contraire qui était vrai: ce qui aurait été extraordinaire c’est qu’une des deux, ou mieux les deux – l’ultra favorite Keller-Sutter dans la succession. Schneider-Ammann, ou la favorite Viola Amherd pour le fauteuil Leuthard – ne soient pas élues.

Sur la forme bien sûr, nul doute qu’un Conseil fédéral à trois femmes s’avère plus représentatif de la population qu’un collège à une seule, et capable d’une plus grande largeur de vue. Sur le fond en revanche l’événement s’avère tout à fait anodin. Pour une raison bien bête: une femme, aux dernières nouvelles, cela reste un être humain. A savoir une créature souvent versatile, régulièrement irrationnelle, arrogante parfois, narcissique toujours. Keller-Sutter et Amherd ne tarderont pas à le démontrer, en dehors bien sûr des qualités éminentes, probablement au-dessus de la moyenne, mais la plupart sans doute techniques, qui leur ont valu d’être adoubées par l’Assemblée fédérale. Du premier coup et avec des scores canon, ce qui prouve qu’on était là dans du tout cuit.

Tout juste peut-on signaler la nouvelle désillusion de l’UDC qui avait pris fait et cause pour Heidi Z’graggen contre Viola Amherd. Une Heidi qui a fait à peine mieux – disons moins pire – que l’homme alibi opposé à Karin Keller-Sutter. L’UDC craignait qu’avec la Haut-Valaisanne le Conseil fédéral perde son équilibre, entendez penche un poil à gauche. Il est vrai que pour un œil agrarien la gauche commence très vite. Au centre droit, grosso modo.

«Un grand jour pour le Valais» titre néanmoins Le Nouvelliste. «Un grand jour pour les femmes» trouve plutôt la Liberté. Et tant pis si élues et élus au Conseil fédéral ne sont censés représenter ni un genre ni un canton. A moins d’admettre l’inadmissible: qu’il y ait, comme pour les cantons, des sexes périphériques dont les triomphes occasionnels seraient à célébrer avec de plus gros tambours et de plus longues trompettes.

C’est le moment, puisque l’on parle du Valais, de citer Christian Constantin et son immortel aphorisme: «Seul l’avenir nous dira ce que le futur nous réserve». Pour l’heure rien n’indique que la discrète Viola Amherd et la flamboyante Karin Keller-Sutter ne feront pas d’excellentes conseillères fédérales. Si la présidente du Grand-Conseil valaisan Anne-Marie Sauthier-Luyet dit vrai, c’est de cela plutôt qu’il faudrait se réjouir: «Je crois que ces deux femmes ont avant tout été choisies pour leurs compétences.»

Pour le reste, redisons-le: cette double élection n’offrait pas grand-chose aux cœurs épris de sang et d’émotions fortes. Heureusement qu’existent encore des politiciens capables de se sacrifier pour assurer le spectacle et maintenir tendu le fil du drame. Maudet, merci.