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Vaches étrangères et juges à cornes

C’est l’initiative dont tout le monde se moque. Celle dite des vaches à cornes. Imaginons pourtant un instant que ce texte intitulé «pour la dignité des animaux de rente agricoles» passe la rampe populaire le 25 novembre.

L’hypothèse n’est pas si absurde. La vache garde sa forte popularité, comme symbole peut-être amusant mais bien réel du pays profond et de son imaginaire folklorique. «Il en va de notre carte de visite» a par exemple décrété le sénateur vert Robert Cramer. En plus, les arguments des initiants, emmenés par le paysan grison Armin Capaul, sont plutôt solides.

Oui, la vache à cornes est en voie de disparition. 90% des vaches suisses, il faut le savoir, sont des bêtes sans cornes. La sélection des espèces n’est pas seule en cause, l’écornage y est pour quelque chose. La pratique ne concerne pas que les vaches mais aussi les chèvres. Une opération douloureuse, assurent les initiants, en général par cautérisation à 700 degrés, à l’âge de deux semaines. Veaux et cabris la sentiraient méchamment passer.

Sans compter qu’avoir des cornes peut être un atout dans une vie de bovin ou de caprin. Cela aide à se reconnaitre, facilite la digestion et les soins corporels, permet de réguler la température. Les partisans de l’initiative voient également dans l’écornage une pratique détestablement anthropocentrique: «Il s’agit de préserver la dignité de l’animal en cessant de couper simplement les organes qui nous dérangent.» En plus on ne parle que d’un modeste soutien aux éleveurs renonçant à écorner leurs animaux: 190 francs par vache et 38 francs par chèvres. Pas de quoi assécher les caisses fédérales.

Donc, oui, imaginons que la vache à cornes fasse un carton dans les urnes. Les réactions internationales seraient sans doute aussi rares qu’amusées. Mais imaginons aussi que l’initiative UDC dite des «juges étrangers» et visant à établir la primauté du droit suisse sur le droit international, se retrouve validée par le verdict populaire le même dimanche.

Oui aux vaches à cornes, non aux juges étrangers, carton plein et succès mondial assuré. La Suisse trait sa vache à cornes et se coupe du reste du monde. Victoire totale des Waldstätten, magie de la démocratie directe. Tellement, que l’impression générale qui s’en dégagera ne sera pas loin d’atteindre au malaise qu’auraient provoqué deux initiatives sur les juges à cornes et les vaches étrangères.

Les attitudes des deux initiants sont pourtant bien différentes face à cette fameuse démocratie directe qui nous assure de si beaux et palpitants dimanches. Capaul et ses amis s’excuseraient presque de déranger le peuple pour des problèmes d’arrière-écurie, expliquant que s’ils sont contraints de recourir à une modification de la constitution c’est en raison de la mauvaise volonté du Conseil fédéral et du parlement restés sourds à toutes les démarches en faveur des petits peuples caprin et bovin. Ouh les cornes!

C’est au contraire à coup de très grosse caisse que l’UDC, par son conseiller aux Etats Thomas Minder, a célébré le recours à cette démocratie directe, décrite comme «notre place Maïdan ou Tahrir». Tant pis si l’on peine à compter les morts tombés sous les balles des juges étrangers. Tout n’est-il pas pour le mieux dans le plus helvétique des mondes? L’instrument qui nous permet de combattre ce droit international, qualifié par la vice-présidente de l’UDC Céline Amaudruz de «prison juridique» et même de «bérézina démocratique», est en lui-même la preuve de la supériorité de notre petit droit local à nous.

C’est au point que, lyrique comme jamais, Toni Brunner, l’ancien président de l’UDC, a vanté «ce beau pays dans lequel on peut voter sur tout». Sauf que là il ne parlait pas des juges étrangers, mais des vaches à cornes. Lesquelles peuvent sans problème lui retourner le compliment.