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La montée en puissance de l’arc lémanique

La Suisse romande excelle dans la recherche et l’innovation. Mais ces succès ne sont pas toujours reconnus au niveau national.

Au début des années 2000, une série d’articles publiés outre-Sarine décrivait un axe «Welsch» «Dreifuss-Kleiber-Waldvogel» de la formation, de la recherche et de l’innovation, qui était accusé de favoriser la Romandie. Ce triumvirat constitué de la Conseillère fédérale en charge du domaine, du secrétaire d’Etat et du président du conseil des Ecoles polytechniques fédérales était de facto moins «Welsch» qu’il n’y paraissait, car deux d’entre eux sont parfaitement bilingues et ont passé une bonne partie de leur jeunesse en Suisse alémanique.

La situation a bien changé aujourd’hui. On pourrait désormais parler d’un axe Suisse alémanique «Schneider-Amman-Hirayama-Schiesser» de ce domaine stratégique pour la Suisse ([À noter que Johann Schneider-Amman a annoncé sa démission entre temps. Il restera en poste jusqu’en décembre 2018, ndlr). Il faut à ce sujet relever que la nomination d’une secrétaire d’Etat «zurichoise» ne parlant pas le français n’est pas bien reçue en Suisse romande, en particulier dans un domaine où la Suisse romande surperforme. J’en veux pour preuve la performance des hautes écoles de l’arc lémanique.

Les Universités de Genève, de Lausanne et l’EPFL collectent en effet plus de 30% des montants de recherche du Fonds National Suisse. Elles ont engrangé le même nombre de European Research Council Grants, les prestigieux fonds alloués par la communauté européenne, que les Hautes Ecoles de la région zurichoise (152 ERC versus 150 ERC). L’analyse détaillée de la bibliométrie montre que le nombre et le facteur d’impact des publications parlent également en faveur de l’arc lémanique. Jacques Dubochet, professeur à l’Université de Lausanne, est un des lauréats du prix Nobel de chimie 2017. Enfin et surtout, le montant de capital risque investi dans les start-up de l’arc lémanique sur la période 2013-2017 est le double de celui investi dans celles du grand Zürich (1’625 contre 798 millions de francs suisses) si l’on en croit les chiffres de Startupticker, la plateforme en ligne des start-up suisses.  En plus des trois grandes universités de recherche et des deux hôpitaux universitaires, la région compte deux excellentes écoles d’art et de design, l’ECAL et la HEAD, l’IMD, une des meilleures «executive business school», la très réputée Ecole Hôtelière de Lausanne, sans parler d’un des fleurons de la recherche mondiale des particules, le CERN.

Alors que l’arc lémanique souffrait financièrement dans les années 90, un nouvel élan a pris corps dans le début des années 2000 avec la prise de conscience que cette région devait prendre en main sa destinée. Les Hautes Ecoles y ont joué un rôle crucial. A l’EPFL, la création d’un parc de l’innovation au cœur du campus a favorisé l’éclosion de start-up et la venue de grands groupes industriels qui désirent se rapprocher des développements disruptifs de la technologie. Plus de 2’000 emplois à haute valeur ajoutés y ont été créés. Cette politique de l’innovation va de pair avec le développement d’antennes de l’EPFL dans les autres cantons romands. Ces antennes ont été créées en lien étroit avec le tissu industriel régional: la microtechnique avec Microcity à Neuchâtel, l’énergie avec Energypolis à Sion, la neuro-technologie avec Campus Biotech à Genève et le «Smart Living Lab» sur le campus Blue Factory de Fribourg.

Fait remarquable, ces cantons ont investi des moyens importants pour le développement de ces antennes, en partenariat avec l’EPFL et donc indirectement avec la Confédération. Cette politique de développement académique en lien étroit avec l’économie porte aujourd’hui ses fruits. Elle est même reconnue au-delà de nos frontières. Un récent article du grand journal français «L’Express» suggérait ainsi à Edouard Philippe, premier ministre français, de prendre le TGV Paris-Lausanne pour s’inspirer de ce développement.

La Berne fédérale semble avoir plus de problème à le réaliser. Le prochain remplacement du président du Conseil des Ecoles polytechniques fédérales devrait être l’occasion de reconnaitre la contribution de la Romandie dans le domaine de la formation, de la recherche et de l’innovation. La Romandie compte des chercheurs de haut niveau parlant parfaitement bien l’allemand et qui pourraient injecter la touche romande dans le triumvirat qui dirige la science et la technologie suisse. Ce serait une manière de reconnaitre le remarquable développement de la Suisse romande et permettre au reste du pays de s’en inspirer.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la cialis shipped from us. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.