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Le hold-up du siècle

L’art du compromis à la sauce suisse nous est envié loin à la ronde. Sa force d’inertie pèse pourtant lourd dans la lutte contre l’inégalité salariale.

Vous avez dit génie? Oui, oui, celui des Suisses, il paraît. L’universitaire François Garçon, un récidiviste, publie un nouvel ouvrage vantant la réussite du modèle confédéral, qui aurait réussi quasi à inventer la quadrature du cercle. En trouvant «les bons mécanismes de pouvoir et de fonctionnement d’une économie nationale de taille moyenne dans la mondialisation».

On applaudit bien fort. Un mot, pour le franco-suisse Garçon, résume tout: Subsidiarité. «Chaque échelon du pouvoir fait ce qu’il sait et peut faire de mieux», explique-t-il dans Le Temps. Le contre-modèle, c’est évidemment l’épouvantable grand voisin français, doté de cet odieux «pouvoir vertical» qui gomme les spécificités et les réalités locales.

Tout cela est, comme on dit, bel et bon. Il est quand même des moments et des sujets où un soupçon de pouvoir vertical, un zeste de centralisme, un doigt de jacobinisme ne sembleraient pas de trop, même au sein de la si parfaite Confédération. Des moments et des sujets où les spécificités, les régionalismes, les exceptions et surtout les compromis de tout acabit ont des méchantes gueules de freins à main.

Au hasard, cette loi sur l’égalité des salaires sur laquelle le Conseil national devra se prononcer le 24 septembre, après que le Conseil des Etats ait accepté à ce propos, devinez quoi? Un compromis. Comme si l’affaire n’était pas limpide et les chiffres particulièrement brutaux: L’écart salarial homme-femme ne se monte-t-il pas à 7,7 milliards de francs par année?

Un abîme en partie justifié par des raisons objectives, mais dont le 40% reste inexpliqué. Ce qui équivaudrait, a calculé le syndicat Unia, à une perte moyenne de 600 francs par mois pour chaque travailleuse, soit sur une carrière, pas loin de 300’000 francs évaporés à l’essoreuse de l’inégalité. Si ce n’est pas un hold-up, ça y ressemble.

A l’initiative de Simonetta Sommaruga, le Conseil fédéral a décidé de sortir de sa torpeur coutumière et de présenter un projet de loi. Rien de bien méchant pourtant, un texte tout à fait dans la tradition du génie suisse, qui rime souvent avec minimalisme quand des intérêts économiques sont en jeu. Il aurait été prévu en gros d’examiner tous les quatre ans les pratiques salariales des entreprises de plus de cinquante employés à la lumière de l’égalité, sans qu’aucune sanction ne soit prise à l’égard des contrevenants. Sinon celle de leur mettre la honte.

C’était encore trop pour le génie suisse, qui prit cette fois l’inattendu visage des femmes radicales, emmenées par Isabelle Moret. Lesquelles obtinrent au Conseil des Etats que la mesure ne s’applique qu’aux entreprises de plus de cent personnes, que celles qui auraient eu tout bon lors du premier examen n’y soient plus soumises quatre ans plus tard et qu’enfin la loi s’éteigne au bout de 12 ans.

Isabelle Moret a justifié ces sévères coups de canifs par des considérations tactiques: «Nous essayons de grappiller des voix à droite, indispensables pour faire passer la loi dans les deux Chambres du parlement. C’est ça ou rien.»

Cela risque malgré tout d’être rien. Ce «compromis de compromis» ne satisfait pas encore ni l’UDC, ni les radicaux, majoritaires à eux deux au Conseil national. «Usine à gaz et bureaucratie» a décrété le génie suisse.

Un génie qui par la voix du radical Olivier Français montre qu’il est aussi le maître des hypocrisies et des syllogismes mal embouchés. Avec ce raisonnement à voile et à vapeur: L’inégalité salariale certes «est un mal de notre société»; donc «pour la combattre, nous avons besoin d’un projet qui soit efficace».

Par projet efficace, les radicaux entendent un système où les entreprises se contrôleraient elles-mêmes, où le renard serait institué gardien du poulailler. Une sorte de compromis de compromis de compromis. Génial, on vous dit.