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Promenade architecturale dans une ville bien bâtie

Lausanne possède un patrimoine urbanistique très ancien. Personnalité incontournable de l’architecture suisse depuis plusieurs décennies, Vincent Mangeat en livre une fine analyse et dévoile ses coups de cœur.

Les premières rues et maisons de Lausanne, l’ancienne Lousonna, datent de l’époque romaine. Au fil du temps, les habitants ont dompté les collines et vallées emblématiques de la ville qui s’est urbanisée. Pour l’architecte Vincent Mangeat, construire était alors avant tout une nécessité dictée par la survie et la protection. Mais Lausanne a aussi su se doter de bâtiments représentatifs qui lui ont donné son identité visuelle. Promenade en sa compagnie à la découverte de ce patrimoine architectural.

Vous habitez à Nyon, quels sont vos liens avec Lausanne? 

J’y ai vécu longtemps, car j’ai étudié puis, plus tard, enseigné, à l’EPFL. Aujourd’hui encore, ma vie se joue principalement entre Nyon et Lausanne. Au niveau professionnel, cette ville est importante pour moi puisque j’y ai réalisé un ensemble de logements pour étudiants dans le quartier sous-gare en 2007. Dans le même quartier, la même année, j’ai cofondé l’École spéciale d’architecture de Lausanne (ESAR).

Quels bâtiments remarquables de la ville aimez-vous à donner en exemple? 

J’aime beaucoup la gare, qui a été construite de 1911 à 1916. Sa couverture, l’élégance de sa structure métallique, sa simplicité: il ne faut pas se contenter de regarder la façade, il faut apprécier l’ensemble. De plus, ce grand bâtiment appartient à tous. C’est un lieu de passage qui a gardé son importance depuis le XIXe siècle. Une autre construction remarquable est le Grand-Pont. Construit au début du XIXe siècle, il lie les parties basses et les parties hautes de la ville.

Et parmi les constructions plus récentes? 

Comme premier exemple, j’aimerais citer la Tour Bel-Air, construite en 1931 par Alphonse Laverrière. Bien entendu, l’immeuble est surtout connu comme premier «gratte-ciel» de Suisse avec ses 80 mètres de hauteur. Mais, à mes yeux, il est plus important de souligner que cette hauteur suit une vraie logique urbaine. À l’époque de sa construction, il s’agissait de marquer, à la sortie du Grand-Pont, l’entrée des nouveaux quartiers. La Tour est ainsi un symbole qui lie les anciens quartiers de Saint- François aux nouveaux de Chauderon.

Un autre bâtiment extraordinaire est celui que Jean Tschumi, le père de Bernard Tschumi, a construit pour Vaudoise assurances entre 1952 et 1956. Il se trouve entre le parc de Milan et le lac Léman. Encore une fois, j’apprécie cet immeuble pour son intelligence urbaine. Comme il est posé sur des pilotis, la vue sur le lac n’est pas gâchée, il s’intègre parfaitement dans l’espace urbain qui l’entoure.

Beaucoup de visiteurs sont impressionnés par la vue sur le lac que l’on peut admirer depuis divers points. Comment lieriez-vous cet intérêt pour le paysage avec une visite architecturale?

Si nous nous intéressons à l’histoire de la ville, il faut commencer la visite au bord du lac, à Vidy (où se situe le Musée romain de Lausanne-Vidy, ndlr), et non sur les hauteurs. Car c’est là que les premières constructions ont été bâties à l’ère romaine. D’ailleurs, le fait d’admirer la vue sur le lac est un concept récent. Cela peut nous paraître bizarre aujourd’hui puisque la vue sur le lac est imprenable, surtout depuis la cathédrale. Bien que celle-ci ait été construite au Moyen-Âge, ce n’est qu’au XIXe siècle que les gens ont découvert et commencé à apprécier la vue sur le lac. Avant, ils n’avaient pas de temps à consacrer à ce genre d’activité, la notion de loisirs n’étant alors pas suffisamment développée.

Qu’apprend-on sur le développement de la ville en partant depuis Vidy? 

On apprend que pendant qu’ils faisaient partie de l’Empire romain, les habitants de Lausanne se sentaient en sécurité. Ils habitaient au bord du lac, proche des voies commerciales. Au Moyen-Âge, la donne a changé: les communautés devaient se protéger contre de potentiels envahisseurs extérieurs et donc se fortifier. C’est pourquoi les Lausannois sont montés sur la colline, les hauteurs offrant une protection de base naturelle.

Ensuite, les habitants ont commencé à coloniser les terrains aux alentours de la Cité. Le territoire était complexe: il était fait de vallées et traversé par un grand cours d’eau, le Flon, qui descendait jusqu’au lac. Le Flon était alors la source vitale de la population qui fournissait de l’énergie et qui rendait possible le transport de marchandises. À partir du Moyen-Âge, la ville s’est développée de plus en plus vers l’ouest. C’est dans la suite de ce développement que les premiers sous-ensembles urbains, des quartiers, apparaissent.

Et puis arrive le chemin de fer… 

L’arrivée du chemin de fer au milieu du XIXe siècle a été, comme pour toutes les villes, un élément accélérateur très important. À partir de ce moment-là, Lausanne est devenue une ville moderne avec de plus en plus d’échanges avec des régions lointaines. Pour preuve, toujours plus de touristes sont arrivés depuis Montreux et la Riviera. L’emplacement de la gare a été choisi en fonction de sa proximité avec les vallées du Flon, la cité et le lac. L’arrivée du chemin de fer a aussi été le coup d’accélérateur pour le développement du territoire entre le lac et la gare. Ce quartier, qui est aujourd’hui appelé «sous-gare», est un très bel exemple d’urbanisation à l’ancienne. Il a été conçu selon un plan dessiné qui permettait d’intégrer chaque nouvel immeuble dans cet ensemble. Si vous vous baladez dans ce quartier, vous remarquerez un côté harmonieux. Il n’y a pas un bâtiment en particulier qui ressort, c’est l’ensemble qui donne au quartier son identité.

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Biographie

1941: Naissance à Delémont (JU).

1969: Obtention du diplôme d’architecte à l’EPFLet fondation de son bureau d’architectureà Nyon. Depuis 1990, il gère ce bureauavec son associé Pierre Wahlen.

1985: Construction du gymnase de Nyon. Le début d’unesérie de réalisations d’espaces d’enseignement.

1990: Nomination en tant que professeur ordinairede projet et de théorie d’architecture à l’EPFL. Il exerce cette fonction jusqu’en 2006.

1999: Réalisation du viaduc de l’Ile Falcon surl’autoroute A9 en direction de Sierre (VS).

2013: Construction de la Maison de l’écriture à Montricher (VD) pour la Fondation Jan Michalski. Ce bâtiment pensé comme une ville est devenu célèbre notamment pour sa canopée en béton blanc et ses cabanes suspendues.

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Une version de cet article est parue dans le magazine The Lausanner (no 1).