LATITUDES

Alerte à la «Fake Science»

De plus en plus de chercheurs publient leurs résultats dans des pseudo-revues scientifiques. Les journalistes, quant à eux, contribuent à diffuser ces recherches douteuses.

La révolution digitale touche l’ensemble des secteurs de la société, y compris celui de la science. Elle a permis des percées importantes dans le partage, l’analyse et le stockage des données. La révolution digitale a également modifié la façon de communiquer les découvertes scientifiques. Avant l’ère digitale, il fallait compter entre 6 et 12 mois avant que les résultats d’une recherche soient publiés dans une revue scientifique de renom. La publication «online» de ces résultats a très significativement compressé le temps requis pour rendre public les résultats de la science. Elle permet entre autres aux scientifiques travaillant dans des pays où la science est moins développée d’avoir rapidement accès aux données scientifiques pour autant que les éditeurs les mettent en «open source».

Profitant de cette évolution technologique, une série d’éditeurs peu scrupuleux provenant principalement de pays en voie de développement se sont lancés dans le marché de la publication en ligne. Ils acceptent contre financement de publier rapidement quasiment tous les articles soumis sans les soumettre à une évaluation par les pairs (peer review), la procédure standard de contrôle de qualité de la science. Ces éditeurs «prédateurs» ont souvent adopté des approches très agressives. Certains démarchent mêmes les scientifiques en les encourageant à publier les travaux dans leurs journaux. L’émergence de ces éditeurs est favorisée par la politique des grandes maisons d’éditions de journaux scientifiques, qui continuent à mettre les universités sous pression en augmentant régulièrement les prix des abonnements pour leurs bibliothèques.

Les médias diffusent la «fake science»

Ces pseudo-revues scientifiques sont typiquement utilisées par des auteurs qui voient leurs articles rejetés par les revues savantes reconnues. Les sujets politiquement sensibles tels que le changement climatique, le traitement du cancer, l’autisme ou la mise en doute des bienfaits de la vaccination représentent des domaines de prédilection. Ces journaux constituent une sérieuse menace pour la science, car ils répandent au niveau mondial des résultats de recherche qui n’ont pas été évalués adéquatement. Il devient dès lors difficile pour le citoyen lambda de s’y retrouver lorsqu’il fait une recherche sur Google afin d’obtenir une réponse à une question scientifique sur un sujet qui le préoccupe. De plus, des politiciens peu scrupuleux utilisent également ce moyen pour répandre de fausses informations sur des domaines sensibles. Le locataire actuel de la Maison Blanche y a d’ailleurs fréquemment recours, en particulier lorsqu’il remet en question le concept du réchauffement climatique.

Les journalistes ont également leur part de responsabilité dans la dissémination des «fake news scientifques», car c’est en effet à eux que revient la responsabilité de vérifier les informations qu’ils publient. La science est un processus lent, incrémental et peu glamour. Cette réalité peut également contribuer au fait que les journalistes sont parfois plus enclins à publier des news scientifiques sensationnelles ou qui font polémique, quitte à ce qu’elles soient trop optimistes ou carrément fausses. À cela s’ajoute le fait que le nombre de journalistes scientifiques, typiquement mieux outillés pour juger la qualité de la science, a plutôt tendance à diminuer.

Récemment, un consortium de grands journaux dont la Süddeutsche Zeitung, The New Yorker et Le Monde ont enquêté sur le phénomène grandissant des éditeurs «prédateurs» en évaluant l’ampleur et l’impact du phénomène. Cette prise de conscience collective est utile et réjouissante. L’Inde a de son côté décidé d’agir en constatant que plus de 1’500 de ces revues douteuses étaient localisés à Hyderabad. Le gouvernement indien essaie d’endiguer ce phénomène notamment en demandant à toutes les universités indiennes de s’assurer que les scientifiques qui demandent des fonds de recherche publics n’aient pas publié dans de telles pseudo-revues. Le Fonds national suisse (FNS) pourrait également s’inspirer de cette démarche. À ma connaissance, on ne connait pas le nombre de scientifiques suisses qui publient dans ce type de journaux. Mais une récente étude allemande a montré que plus de 5’000 scientifiques allemands y avaient eu recours, un chiffre déroutant.

Afin de ne pas perdre la confiance du public dans la science, il est impératif que les scientifiques et les organismes de financement de la science agissent rapidement pour juguler le problème posé par la «fake science». Il en va de la survie et de la crédibilité de la démarche scientifique.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la tadalafil 5mg cialis. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.