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Watson, Siri, Migros: nos nouveaux docteurs

Les acteurs du numérique et de la grande distribution s’apprêtent à révolutionner le secteur de la santé. Consultation de proximité, ou à distance, assistants numériques, deep learning, tour d’horizon de ces innovations.

«Le patient va vous recevoir» («The patient will see you now»), c’est le titre provocateur d’un livre (2015) du cardiologue et chercheur américain Eric Topol qui dévoile les chambardements à venir dans le secteur de la santé. Il examine dans cet ouvrage comment les smartphones, applications et algorithmes se conjuguent pour démocratiser la médecine. «On se dirige vers une prise en charge sans médecin, avec l’idée d’un contrôle continu», abonde l’agitateur d’idées neuchâtelois Xavier Comtesse, lui-même auteur du livre Santé 4.0, le tsunami numérique (2017) aux éditions Georg. Par exemple, l’Apple Watch peut prédire vingt minutes à l’avance une crise cardiaque. En corrélant des données cardiaques et de vitesse, elle parvient également à déterminer si une personne s’endort au volant et sonner l’alarme pour la réveiller. De manière plus spécifique, l’application Emoteo se destine aux personnes atteintes de troubles « borderline » en leur permettant de réguler leurs émotions avant une crise. «Je crois fortement au développement d’outils similaires pour diverses maladies chroniques comme le diabète», assure l’essayiste.

Doté d’outils de gestion de sa santé, le patient, que le philosophe Michel Foucault décrivait comme privé de subjectivité par une médecine toute-puissante, s’émancipe de cette autorité. Il se libère déjà des lenteurs et de l’agenda imposés par le système de santé. «Il y a vingt ans, après vingt minutes à patienter dans la salle d’attente d’un médecin, ce dernier m’avait engueulé parce que j’avais quitté les lieux. Aujourd’hui, ce sont eux qui s’excusent lorsqu’ils ont deux ou trois minutes de retard.»

Les 1000 médecins de la Migros

La multiplication des «walk-in clinic» illustre ce changement de statut du patient, qui devient consommateur de soins et non plus seulement utilisateur. Aux Etats-Unis, ces consultations sans rendez-vous ont pris leurs quartiers dans les chaînes de pharmacies. Migros a importé le concept en Suisse en 2010. «Il y a désormais 980 médecins sous contrat chez Migros!», détaille Xavier Comtesse. Baptisé Medbase, le réseau Migros se développe à proximité des gares, comme à Genève et Vevey, où se situent les premières cliniques du groupe en Suisse romande. Elles offrent des services de médecine générale, mais aussi quelques spécialisations.

À l’inverse, la télémédecine a pour objectif de lutter contre les déserts médicaux. Par exemple, la start-up française H4D développe des cabines de soins qui permettent aux patients atteints de maladies chroniques d’effectuer de manière autonome leurs examens.

L’intérêt de Migros pour la santé s’explique par les marges mirobolantes du secteur, alors que celles du commerce de détail se contractent. «Comme dans le luxe, on atteint une rentabilité de 30%», explique l’auteur de Santé 4.0. D’où une convergence d’acteurs qui s’engouffrent dans le secteur comme de nombreuses start-up, mais aussi les GAFA, ou un acteur plus historique comme IBM avec son programme d’intelligence artificielle Watson. Les ingénieurs de la firme informatique cherchent à employer cet outil de deep learning pour développer ce qu’on nomme la médecine de précision. Celle-ci tente de recouper de grandes quantités de données personnelles comme l’historique médical, le comportement d’un individu, son ADN ou encore ce qu’on appelle l’expression génétique pour fournir des prédictions.

Intelligence artificielle et analyses prédictives

Diagnostic, mais aussi pronostic et planification du traitement: au CHUV de Lausanne aussi, un groupe de chercheurs associés au fabricant allemand Siemens tente aussi d’associer le machine learning à la prédiction médicale. «Par exemple, nous essayons de prédire avec de l’imagerie de données génétiques si une personne qui a un début d’Alzheimer va développer la maladie ou non, ce qui permet d’envisager une intervention rapide. On peut aussi déterminer comment un patient qui souffre de dépression ou de sclérose en plaque va répondre à un traitement», explique Jonas Richiardi, chercheur au sein du département de radiologie du CHUV. Signe de l’intrication croissante du numérique et de la santé, ce dernier dit participer aux mêmes colloques que les chercheurs de Google par exemple, ou employer des logiciels libres de traitement de données développés par Airbnb.

De toute les disciplines médicale, la radiologie est celle qui suscite prioritairement l’intérêt des grandes entreprises du numérique. «Malgré une baisse des coûts du matériel, les prix de la radiologie restent très élevés parce que les radiologues coûtent très chers. Or ils pourraient facilement être remplacés par des programmes de machine learning», indique Xavier Comtesse. Tout comme la dermatologie, la radiologie exige une vision précise de ses praticiens. Or c’est justement dans la lecture et la classification d’images qu’excellent ces nouvelles technologies.

Mais de manière générale, parce qu’elle est fondée sur des protocoles et des données quantitatives, qui historiquement ont permis à la médecine d’élite d’être largement diffusée, la médecine dans son ensemble est numérisable. «La voiture autonome nous perturbe davantage, mais parce que tout est déjà prêt à l’emploi pour les algorithmes, la révolution va aller plus vite dans la santé.» La consultation du futur? Plus rapide, plus personnalisée, plus démocratique, plus technologique, plus libérale aussi. Comme une séance de radiologie pilotée par Watson à la Migros.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Entreprise Romande (été 2018).