TECHNOPHILE

Quand les ciseaux CRISPR modifient des embryons

L’usage de l’ingénierie génomique sur des embryons humains se développe. Cette évolution porteuse d’espoir soulève toutefois de nombreuses interrogations.

Un sigle barbare pour une technologie qui avance presque trop vite. En six ans, CRISPR-Cas9 a révolutionné le travail des chercheurs en génomique et connu un succès fulgurant. Non sans raison: «CRISPR Cas-9 n’est pas le seul outil d’édition génomique disponible, mais il est beaucoup plus rapide et simple que les autres techniques apparues depuis le début des années 2010», explique Hervé Chneiweiss, directeur de recherche au CNRS et président du comité d’éthique de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (France).

Percer les mystères de la FIV

Les laboratoires commencent à obtenir l’autorisation de travailler sur le génome d’embryons humains viables, une évolution qui enthousiasme autant les uns qu’elle inquiète les autres. Dernier exemple en date, l’cheapest cialis super active, un centre de recherches biomédicales londonien, s’est penché sur les fécondations in vitro (FIV). Utilisées depuis les années 1970, les FIV échouent encore dans 87 % des cas et la médecine peine à expliquer les mécanismes qui permettent à l’ovule fécondé de se développer correctement. Pour avancer, les chercheurs se sont intéressés au gène OCT4, impliqué dans les premiers stades de la croissance embryonnaire, en supprimant dans une partie des 58 embryons humains viables dont ils disposaient avant de comparer leur développement.

Publiés fin 2017 dans «Nature», les travaux ont permis de confirmer l’importance du gène ciblé dans la formation du blastocyste, une «boule» de 200 à 300 cellules qui se forme dans les premiers jours du développement embryonnaire. Une étape cruciale: ce n’est que lorsque l’embryon atteint ce stade qu’il a des chances d’être implanté avec succès dans l’utérus. «Ces travaux relèvent de la recherche fondamentale, sans perspectives cliniques à moyen termes», tempère toutefois Hervé Chneiweiss.

En 2015, une équipe de chercheurs chinois avait déjà brisé un tabou en utilisant CRISPR-Cas9 pour modifier l’ADN d’embryons humains atteints d’une maladie monogénique, la bêta-thalassémie, responsable d’anémies causées par la destruction des globules rouges. Autre exemple emblématique: en août 2017, une équipe américaine de Portland a réussi à corriger chez des embryons humains une mutation responsable d’une maladie cardiaque grave. Pour ce faire, elle a fécondé des ovocytes de donneuses en bonne santé à l’aide de spermatozoïdes porteurs d’un gène responsable de la cardiomyopathie hypertrophique, une pathologie parfois mortelle chez l’adulte. Controversés, ces résultats – également publiés dans «Nature» – confirment pourtant une tendance globale: étude après étude, la technologie se précise, progresse et ouvre de nouvelles perspectives.

 

Questions éthiques, enjeux sociétaux

Un temps oublié, le scandale qui avait entouré les premiers travaux chinois revient avec d’autant plus d’intensité. Impossible d’ignorer les interrogations éthiques et morales qui surgissent, entre résurgence de vieux fantasmes eugénistes et craintes d’un monde transhumaniste à la «Bienvenue à Gattaca», le célèbre film d’Andrew Niccol. Peut-on modifier le génome d’embryons humains et donc celui des générations suivantes? «Des biotechnologies comme CRISPR-Cas9 doivent faire l’objet d’une réflexion de toute la société» pour déterminer qui doit être impliqué dans les prises de décision ou qui peut y avoir accès, fait valoir la professeure Ruth Müller, responsable du groupe de recherche Science and Technology Policy à la Technical University of Munich.

Un débat d’autant plus complexe que le degré d’acceptabilité varie en fonction des systèmes politiques, culturels et sociaux: «Le débat sur les OGM a illustré la difficulté de penser ces questions, poursuit la chercheuse. Chacun les aborde de manière très différente en fonction de ses propres enjeux et de ses propres besoins.» «Ce n’est pas la technologie qui pose problème, renchérit le professeur Chneiweiss, c’est l’utilisation qu’on en fait.» La crainte d’avoir ouvert la boîte de Pandore n’est pas prête de s’éteindre. Une seule chose est sûre: une partie de la réponse sera nécessairement d’ordre législatif.

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La haute couture génétique, mode d’emploi 

Mise au point en 2012 par deux chercheuses, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna, CRISPR-Cas9 est une technique de biotechnologie plus accessible, moins onéreuse et surtout plus précise que d’autres outils comme TALEN ou ZFN. Rapidement adoptée par des milliers de laboratoires dans le monde, elle permet d’inactiver ou de supprimer des séquences d’ADN à l’intérieur de cellules déjà formées en deux temps. Une molécule ARN (CRISPR) cible une séquence précise du génome, ce qui permet l’ancrage d’une enzyme (l’endonucléase Cas9), qui coupe les deux brins de l’ADN à l’endroit souhaité. D’où le surnom de ciseaux génétiques rapidement associé à CRISPR-Cas9, qui concentre tous les espoirs et toutes les peurs: qu’on s’intéresse aux végétaux, aux animaux ou aux hommes, il permet un changement d’échelle qui ouvre des capacités encore inexplorées dans tout le domaine du vivant.

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Une version de cet article est parue dans le magazine en ligne Technologist, qui traite l’actualité de la recherche et de l’innovation en Europe.