Le racisme, ce n’est pas bien. L’alcool et le tabac non plus. Le sexisme, on n’en parle même pas. Les bonnes causes et la traque des méchants qui va avec, ont toujours attiré les politiciens. Comme les portes ouvertes attirent les enfonceurs. C’est facile à vendre, les bonnes causes, et combien valorisant. Qui n’aime le beau rôle?
C’est ainsi que la conseillère d’Etat vaudoise Jacqueline de Quattro veut s’attaquer aux images dégradantes dans les affiches publicitaires. L’alcool, le tabac et le racisme, en ayant été heureusement été bannis, explique-t-elle, il convient maintenant d’extirper le sexisme format mondial.
C’est là qu’on voit que le canton de Vaud est un pays heureux, c’est-à-dire sans histoires, et dont les ministres doivent redoubler d’imagination pour occuper leurs longues journées.
Voilà en tout cas un sujet que la magistrate prend diablement au sérieux: «Les affiches sexistes imposent aux citoyens une vision dégradée de la femme et normalisent les clichés. De telles représentations sont incompatibles avec nos valeurs démocratiques.»
Tout cela est bel et bon, même si on ne voit pas bien ce que les valeurs démocratiques viennent faire là-dedans. On pourrait même trouver que c’est précisément au nom des valeurs démocratiques, et du marché libre qui en découle, que la publicité existe et sévit.
Qu’aussi tout, ou presque, dans la publicité, repose sur le cliché et le stéréotype. Que c’est mettre de la morale là où il n’est pas urgent, ni évident d’en mettre. Que le rôle du politique enfin n’est pas fondamentalement de dispenser des leçons de catéchisme à ses heures perdues.
L’affaire se gâte même franchement quand on en vient à vouloir définir ce qu’est une image dégradée de la femme – n’évoquons même pas celle de l’homme. Chacun a son petit curseur personnel. La même image séduira, choquera ou laissera indifférent des grands pans de la population. On peut donc se demander, à ce stade, si ses fonctions autorisent réellement Jacqueline de Quattro à imposer sa sensibilité personnelle dans cette affaire.
«On ne veut plus voir ça chez nous» tranche-t-elle. Mais qui donc se cache derrière ce «on»? En quoi consiste exactement ce «ça»? Jacqueline de Quattro peut bien voir dans une pub mettant en scène quatre mâles en torse nu et une femme couchée à leur pieds, la représentation d’une tournante. «On» n’est pas tous obligé d’être aussi imaginatif.
Jacqueline de Quattro peut bien s’offusquer d’une réclame de sous-vêtement où des jeunes-filles batifolent avec un «râteau dressé à la verticale». «On» n’est pas tous forcé d’avoir l’esprit mal tourné.
Et puis si l’on veut absolument interpréter ou surinterpréter chaque image, on pourrait tout aussi bien, certes avec un chouïa de mauvaise foi, voir dans ce râteau le symbole du droit et de la capacité des femmes à dire non.
Mais voilà: la conseillère d’Etat vaudoise, voulant sans doute bien faire, avoue son extrême réactivité aux images: «Les affiches c’est quelque chose qui vous sautent à la figure». Ce qui serait son problème plutôt que celui de ses administrés.
Pourtant, Jacqueline de Quattro, en bonne libérale reconnaît que si ce genre de publicités continuent de trouver refuge sur nos murs, c’est que «ça rapporte encore plus d’argent que de critiques». Mais c’est pour aussitôt refuser cet arbitrage dispensé par la fameuse main invisible du marché. «Le sexisme, s’exclame-t-elle, ronge notre société.» Ce qui constitue moins un argument qu’un ressenti personnel.
Tout cela n’a pas énormément d’importance. Sauf comme signe d’une tendance lourde: la mauvaise habitude qu’ont certains élus de prendre les gens pour des enfants, des pauvres petites choses fragiles, des robots sans cerveaux, infiniment manipulables et qu’il faudrait protéger de tout, même de l’anecdotique.
Comme si l’Etat, contrairement aux marchands de petites culottes, avait, par on ne sait quelle inspiration miraculeuse, la science éternelle du bien et du mal.