Le wonderboy suisse de la nouvelle économie, fondateur de TheGlobe.com, se raconte dans un livre à paraître, en attendant d’en faire un film. Interview fleuve dans son loft new-yorkais.
A 24 ans, il était devenu avec son associé Todd Krizelman le poster-boy de la nouvelle économie. L’introduction en bourse de sa compagnie TheGlobe.com en novembre 1998 a constitué la plus grande flambée de l’histoire boursière américaine: l’action s’est envolée de 600% en une journée.
Mais la chute de TheGlobe.com a été tout aussi historique. L’effondrement du marché des valeurs internet a particulièremene touché les entreprises dont le modèle économique dépendait de la publicité. TheGlobe.com, l’une des plus grandes communautés virtuelles du cybermonde, a accusé le coup violemment. Stephan Paternot, multimillionnaire en action, aussi.

Après trois ans de folle aventure économique, Stephan Paternot, vaudois par son père, américain par sa mère, fait le point dans un livre à paraître à la fin de l’été en anglais: «A very public offering».
Remis de sa «midlife crisis», comme il dit, il se voit faire carrière à Hollywood en produisant ni plus ni moins que l’histoire de sa propre vie. Il a reçu Largeur.com dans son loft new-yorkais. Interview.
Aujourd’hui, comment expliquez-vous l’échec de TheGlobe.com?
D’abord ce n’est pas l’échec de notre société mais la chute de la bourse qui est en cause. Trop d’entreprises étaient surévaluées, certaines ont manqué de liquidité et ont disparu. TheGlobe est toujours là, c’est une compagnie importante et l’un des sites les plus visités au monde. Quand je regarde en arrière, je me dis que nous avons vécu une expérience incroyable et couronnée de succès, malgré la baisse de l’action. Nous n’avions pas prévu d’entrer en bourse et de voir notre action augmenter de 1000%.
Vous êtes-vous senti dépassés par les événements?
Au jour le jour, c’était franchement incroyable. La plupart des gens croient que nous sommes devenus millionnaires en une nuit, mais nous nous étions préparés pendant quatre ans, nous avons résisté malgré les obstacles. Plus d’une fois nous avons pensé que notre projet allait disparaître. Soudainement les marchés étaient prêts, et nous avons pu lancer l’introduction en bourse (IPO). Ensuite, on s’est souvent sentis totalement débordés: les banquiers sont là au moment de l’IPO, mais après, il n’y a pas forcément beaucoup de soutien. Nous avons tout appris au vol, et cela a souvent été effrayant. Malgré la présence de gens expérimentés autour de nous, nous n’étions pas préparés à devenir directeurs d’une boîte cotée en bourse.Tout le monde vous observe, vous juge, la moindre de vos décisions est passée au crible.
A l’époque, pourquoi ne pas avoir engagé un gestionnaire expérimenté pour vous épauler?
Je pense qu’un entrepreneur doit mener sa boîte jusqu’à un certain développement avant d’en remettre la gestion, sinon il court le risque de lui faire perdre son caractère, son côté innovant, voire même sa place dans le marché. C’est un art de sentir le moment où une entreprise est mûre pour être gérée par d’autres que ses propres fondateurs.
Envisagez-vous de vendre votre participation dans TheGlobe?
S’il y a des acheteurs, pourquoi pas. Mais je ne vendrai pas à 50 cents l’action, car je sais que la compagnie est sous-évaluée pour l’instant.
Etait-ce une erreur d’avoir axé l’essentiel de vos revenus sur les rentrées publicitaires?
Nous avons tenté de nous diversifier en rachetant un boite de commerce électronique, et ce fut notre plus grosse erreur. Tout le monde – les journalistes, les analystes, les investisseurs – pensait que la pub était le pire des modèles financiers. Mais franchement, à l’exception d’Amazon.com – qui perd malgré tout un million de dollars par an! -, toutes les compagnies qui avaient misé sur la vente en ligne se sont aussi cassées la figure. La pub génère une marge de 80 à 90 %, celle de la vente en ligne est bien inférieure, parfois elle est même négative. Et nous avons depuis diversifié nos revenus, nous sommes aujourd’hui le premier réseau de jeux au monde.
On a blâmé tour à tour les spéculateurs, les analystes financiers et même la presse d’avoir précipité la chute du Nasdaq, vous avez votre coupable?
Tous les maillons de la chaîne, des investisseurs aux analystes en passant pas les médias, ont joué leur rôle dans la flambée des cours comme dans leur chute. Des entrepreneurs ont lancé des projets excitants, des investisseurs les ont soutenus, les médias en ont parlé. Idem pour la chute, il y a d’abord eu les premières alertes pessimistes, Alan Greenspan (le président de la réserve fédérale américaine, ndlr) s’y est mis ensuite, inquiétant les investisseurs, et la presse s’en est fait l’écho. C’est l’addition de ces facteurs qui a joué dans un sens comme dans l’autre.
Vous pensez néanmoins qu’internet va durablement changer le fonctionnement de l’économie?
C’est déjà fait. Les gens ne collent plus des timbres sur des enveloppes, ils s’envoient des e-mails. Ils ne prennent plus le risque de se faire arnaquer par un marchand de voitures d’occasion, ils comparent d’abord les prix sur le Net. Dans le monde occidental, on compte plus de 330 millions d’internautes, et ça n’ira qu’en augmentant. Il faut cesser de mélanger stockmania et internet. Quand il y a une crise pétrolière, on ne remet pas en cause tout le système des transports…
Comment avez-vous vécu cette expérience personnellement, le retour de manivelle?
Très dur (rires). Ce n’est pas tous les jours que vous êtes assis sur 97 millions de dollars avant de les voir s’évaporer. Concrètement, je me suis payé une belle crise existentielle, une sorte de «midlife crisis», à 26 ans, alors que cela arrive généralement 10-15 ans plus tard.
Quels sont vos projets?
Publier mon livre d’abord. Ça m’a fait du bien de raconter les étapes de mon expérience. J’espère en tirer un film car c’est une histoire emblématique que je dédie à tous ceux qui prennent des risques, qui se disent «soyons créatifs», et peu importe si vous gagnez de l’argent un jour, si vous en perdez le suivant, si les médias vous adulent et vous oublient ensuite. Nous avons pris un risque, et c’était déjà un événement historique.
Pourquoi le cinéma?
Les films ont toujours eu une grande influence dans ma vie, depuis mon enfance en Suisse. Je n’ai jamais imaginé pouvoir faire carrière dans le cinéma, mais aujourd’hui je me dis, pourquoi pas? Et il n’y pas meilleur moyen que de démarrer avec mon histoire.
Aimeriez-vous jouer votre propre rôle?
Oui, j’aimerais le faire. Mais c’est un défi énorme. Et le film sera peut-être meilleur avec un acteur professionnel, plus détaché émotionnellement.
Qu’est-ce qui vous intéresse en particuliers dans le cinéma?
Jouer, écrire, produire, tout. Je finirai peut-être par tout faire, mais je vais d’abord me concentrer sur une carrière d’acteur.
La gestion de TheGlobe au quotidien ne vous manque pas?
Pas du tout (rires). Au contraire, la meilleure décision que j’ai prise était de me retirer de la gestion, je me sentais comme une bouteille secouée en permanence, et quand le bouchon a sauté, je me suis enfin détendu, mon niveau de stress est tombé. Depuis, j’ai une vie normale, j’ai recommencé à voyager, en Europe surtout, je suis beaucoup plus heureux qu’avant.
Et vos finances… Vous êtes fauchés?
Non (il montre son loft d’un geste de la main, ndlr). Je vis ici, confortablement… Je n’ai pas d’argent à investir, mais entre mon appartement, mes actions et mes liquidités, j’ai de quoi tenir plusieurs années.
Vous avez revu votre train de vie à la baisse?
Non, parce que je ne l’avais jamais revu à la hausse. Je n’ai jamais eu d’argent cash, ce n’était que des actions.
Et vous comptez vous installer en Californie?
Non, je me partage entre les deux côtes. Je suis définitivement un New Yorkais. Et j’aime rester près de l’Europe.
Justement l’Europe, vous n’avez pas l’intention d’y monter un business un jour?
Pas pour le moment. Mes racines sont en Europe, mais ma mentalité est américaine, et je veux faire ma vie ici.
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Maria Pia Mascaro, journaliste, vit et travaille à New York. Comme Stephan Paternot, elle préfère l’East Village à Tribeca.
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Portrait de Stephan Paternot par Alexia de Burgos, © Largeur.com.
