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Tempête dans un verre de Cassis

Un conseiller fédéral qui abandonne, l’espace d’un demi-paragraphe dans la presse alémanique, l’hypocrisie et la langue de bois: patatras on frôle l’affaire d’État. Le tollé provoqué par la petite réserve d’Ignazio Cassis émise à l’encontre de l’UNWRA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) montre à quoi se réduit désormais la marge de manœuvre d’un ministre suisse dans l’espace public: eau tiède et bouche cousue.

A ce petit jeu, certes, Didier Burkhalter, le prédécesseur de Cassis, boxait hors catégorie. Il est quand même difficile de regretter ce style de gouvernance qui tenait plus du somnambulisme que de la saine réserve diplomatique.

Qu’a dit d’ailleurs le Tessinois de si terrible pour que le président du PS Christian Levrat ait pu dénoncer des propos «hallucinants» et même «inadmissibles s’ils sont volontaires»?

Qu’en entretenant l’illusion d’un retour chez les 5 millions de réfugiés palestiniens, l’UNRWA «est devenu aujourd’hui une partie du problème». Qu’il conviendrait donc de réfléchir à ses missions et aux moyens qui lui sont alloués. Ce qui au passage ne parait pas complètement illégitime si l’on sait que la Suisse est un des plus gros contributeurs.

Cassis a encore aggravé son cas en disant avoir «de la compréhension» pour l’Amérique de Trump annonçant son désengagement de l’UNRWA. C’était l’assurance d’une averse de souffre médiatique.

On peut pourtant douter de la sincérité des reproches qui ont fusé à gauche, criant à la neutralité en péril, à la perte de crédibilité de la Suisse médiatrice, puisque les mêmes n’avaient pas été gêné une seconde par les positions systématiquement pro-palestiniennes d’une Calmy-Rey.

La vraie raison de ce courroux doit sans doute être cherchée ailleurs. On pourra se souvenir que la cause palestinienne reste un ces vieux marqueurs indémodables et indiscutables pour des militants qui ont perdu la plupart des autres depuis la chute du mur, la fermeture des goulags et l’échec ou le dévoiement de toutes les révolutions prolétariennes. Le Hamas, donc, en guise de lutte de classes.

Les milieux de la diplomatie eux-mêmes pourtant ont fait mine d’être choqués, trouvant que la déclaration de Cassis rompait avec la neutralité, au motif qu’elle correspondait à «un leitmotiv d’Israël et des États-Unis». Certes, mais de la même manière que soutenir au contraire la légitimité du droit de retour des réfugiés n‘est pas neutre, puisqu’il s’agit d’un leitmotiv de l’Autorité palestinienne.

Plus pragmatiquement on pourrait trouver que les plus de 20 millions que la Suisse verse chaque année à l’UNRWA donne un tout petit droit de regard, autorise l’ébauche d’un avis et un examen sur la pertinence de cette dépense.

Enfin faire d’Ignazio Cassis un désormais suppôt de la droite israélienne, c’est aller vite en chemin. Si c’était le cas, le ministre aurait tenu des propos autrement offensifs. Se serait demandé pourquoi les réfugiés palestiniens sont les seuls à disposer d’une agence onusienne dévolue rien qu’à leur sort. Les seuls aussi à hériter de statut de réfugiés de père en fils, passant de 700 000 en 1948 à 5 millions aujourd’hui.

Il se serait posé la question de savoir à quoi pouvait bien tenir cette étrange exception. Si ce n’était pas par hasard à la nature d’Israël, qu’un antisémitisme toujours très partagé s’acharne à peindre en entité criminelle. Sans compter qu’il est plus facile de clouer au pilori un authentique état de droit que des mouvances qui ont la terreur pour chartre fondatrice.

Ignazio Cassis n’a heureusement rien dit de tout cela. On pourra trouver qu’il s’est plutôt contenté de rééquilibrer sur ce dossier une position suisse qui penchait depuis des années dans l’autre sens. En cela certes il s’est déjà montré plus conséquent qu’un simple Leo Messi.