cialis generic mastercard

«Party», le film culte des années Khatami

A l’heure des élections, un film mettant en scène des journalistes jeunes, beaux et courageux fait fureur à Téhéran. Il embarrasse autant le camp de Khatami que le régime conservateur.

Amin, attaché sur une chaise, a les yeux bandés et les joues marquées par les coups. «Je suis ton procureur, ton avocat et ton juge. C’est tout ce que tu mérites», hurle une voix. Un coup vient, plus fort que les autres. Amin et la chaise tombent par terre. Voilà le début de «Party», le film signé Saman Moghaddam qui fait fureur ces jours à Téhéran.

C’est donc l’histoire d’un rédacteur en chef, Amin (Ali Mostafa), qui publie dans son hebdomadaire les mémoires de son frère, un martyr célèbre de la guerre contre l’Irak (1980-1988). Il se demande s’il était bien raisonnable de poursuivre les combats après la récupération en 1982 des territoires envahis par les Irakiens. Un sujet tabou.

D’abord victime d’un groupe para-judiciaire, Amin a tout juste le temps d’épouser sa collègue Negar (Heydieh Teherani) avant d’aller en prison pour de bon, accusé de diffusion de mensonges et de propagande anti-islamique: ce sont exactement les accusations qui ont permis d’embastiller ces trois dernières années des dizaines de (vrais) journalistes iraniens.

Le film, c’est peu dire, est emblématique des années Khatami, le président réformateur élu en 1997 et qui, après une longue hésitation, se présente à nouveau aujourd’hui 8 juin avec toutes les chances d’être élu. En face, les conservateurs, qui lui mettent depuis quatre ans les bâtons dans les roues, sont hautement impopulaires et n’ont pas réussi à trouver une personnalité de poids.

Khatami, véritable idole des jeunes, doit son succès à trois promesses: établir un état de droit, démocratiser le régime et renforcer la société civile.

Les journalistes, qui furent les premiers à bénéficier des libertés nouvelles, ont aussi atteint les premiers les limites du possible en République islamique. «Party» les montre comme on les aime: jeunes, beaux, courageux et tellement romantiques de chaque côté du parloir du pénitencier…

La femme d’Amin est pourtant obsédée par l’idée de faire sortir de prison son journaliste de mari avant le procès, afin qu’il puisse préparer sa défense: il suffirait de démontrer l’authenticité des mémoires de son frère.

Mais Negar, incarnant une parfaite modernité islamique dans son rôle de femme à la fois très active et dévouée, ne parvient pas à rassembler la caution de 50 millions de tomans (107’000 francs suisses). Un oncle mal intentionné, incarnation du mal conservateur, cache en effet les papiers de la maison qui pourraient être mis en gage.

En désespoir de cause, Negar vide son carnet d’épargne, vend tout ce qu’elle possède et loue leur grande maison pour des fêtes. Cela commence sagement avec une cérémonie de deuil, puis un mariage. Mais bientôt débarquent les jeunes enragés du nord de la capitale, avec leurs musique occidentale, leurs stroboscopes et quelques bouteilles d’alcool.

C’est la première fois qu’un film montre des scènes de danse et curieusement pour un film aussi politique, c’est là que la censure fut la plus lourde.

On retrouve Amin à sa sortie de prison, deux ans plus tard, lorsque Negar tombe enceinte. Le couple revient de chez le gynécologue, ivre de bonheur. Elle reste sur le perron alors qu’il s’avance dans la rue pour héler un taxi. On entend le bruit d’une moto, grosse cylindrée. Le passager arrière brandit un revolver et tire. Tout l’écran du cinéma se couvre de sang: Amin est mort.

Les Iraniens ont immédiatement reconnu la scène: c’est la réplique exacte de l’assassinat du 12 mars 2000 contre Saïd Hodjarian, le cerveau des réformes et le plus proche conseiller du président Khatami.

Sauf que Hodjarian, lui, a survécu par miracle. La semaine dernière, il a même réussi à animer la campagne des présidentielles. Incapable encore de marcher, la voix brisée par les deux balles qui lui ont traversé la gorge, Hodjarian a déclaré être prêt à payer encore plus cher pour que l’Iran avance sur la voie des réformes. Lors du seul meeting tenu par le président Khatami, il a fait pleurer la foule avec ces vers du poète Fereydoun Moshiri: «Quel gâchis pour moi si je ne danse pas comme un fleur dans le vent / Quel gâchis pour nous si nous ne dansons pas avec le printemps.»

En sortant du film «Party», la plupart des Iraniens se demandent comment un film pareil a pu passer entre les mailles de la censure («Le Cercle» de Jafar Panahi, qui fait un tabac en Europe et aux Etats-Unis, n’a pas été autorisé en Iran). La réponse est simple: chacun des camps, réformateur et conservateur, a estimé que «Party» allait nuire à l’autre!

Qu’il dresse le public contre les conservateurs, c’est assez évident. Durant ces quatre dernières années, ils ont utilisé la justice à leur guise pour condamner et emprisonner les journalistes ou les amis du président à tour de bras. Ils ont aussi utilisé les milices islamiques para-étatiques, unanimement détestées, que l’on devine au début de «Party» en train de torturer Amin.

Mais que le film s’en prenne aussi aux réformateurs, c’est plus subtil. D’abord, ils sont tout simplement absents du film, comme s’ils étaient totalement impuissants. Et surtout, les dernières images de «Party» ne laissent pas la moindre lueur d’espoir, ce qui, pour les partisans du président, est très grave. Khatami plaide en effet en faveur de l’établissement très progressif d’une «démocratie religieuse», dans le respect absolu de la constitution actuelle, qui reconnaît une souveraineté suprême et semi divine à son rival le guide Ali Khamenei. Autant dire que c’est là un exercice très périlleux.

Pour que les jeunes continuent de le suivre sur cette voie raisonnable mais très longue, le président n’a qu’une solution: maintenir l’espoir d’un monde meilleur.

——-
Serge Michel, journaliste, vit à Téhéran. Il collabore régulièrement à Largeur.com.