La petite phrase rituelle «pas de chewing-gum en classe», que je répète au début de chaque cours et qui annonce, mieux que la sonnerie, la fin de la récréation, est désormais à compter au nombre des consignes démodées, puisque la mode en matière de sucreries chez les écoliers, c’est maintenant le bonbon en spray.

Le chewing-gum, même en tube, était jusqu’à ce jour relativement discret pour qui savait le mâcher la bouche fermée. Beaucoup plus difficiles à dissimuler, les chupa-chups donnaient forcément à la joue gauche (ou à la droite, mais jamais aux deux en même temps) une forme rebondie, et à l’élève l’air d’avoir quelque chose à cacher (cracher?). Mais depuis qu’il a fait son entrée dans les classes genevoises, le bonbon en spray est, lui, carrément indiscret.

C’est pendant une leçon de poésie que j’ai vu pour la première fois un élève porter la main à sa bouche et vaporiser dans sa gorge une substance orange. Silence, regard menaçant, l’élève s’excuse: «C’est un spray pour la gorge, Madame! » Son voisin ne résiste pas à la tentation d’ajouter: «C’est du bonbon, Madame! Vous voulez goûter?»
J’ai donc testé pour vous. Pas en classe, «pas de bonbon en spray en classe», mais dans le bureau de tabac du coin, où je me suis procuré l’un de ces flacons de fabrication hongroise. Des couleurs flash jusqu’au label rayonnant «Sweet Power SP Ray», tout contribue à le faire passer pour un élixir énergisant. Parmi les cinq parfums proposés (orange, citron, mangue, framboise et cassis – «raisin, en fait», précise la gérante), j’ai choisi l’orange. J’ai ainsi goûté au paradis artificiel de mes élèves pour la somme de 2 francs 50. Et j’en garde trois impressions. Sucré, chimique et collant.
Les ados, eux, adorent. Jessica, 14 ans, trouve ça «trop bon», et ajoute «ça pique la langue et ça dure plus lontemps que les sucettes. Et puis, après, on peut remplir le spray avec de l’eau ou du thé froid.» La gérante du tabac dit avoir vendu jusqu’à 35 sprays en une heure.
De son côté, Christian Viollet-Bosson, responsable des achats en confiserie de la chaîne Naville, estime que celle-ci distribue entre 20 et 30 boîtes par jour en Suisse romande. Ce succès l’étonne: «Nous ne pensions pas que le candy spray marcherait autant. Son prix est élevé et le produit nous semblait inadapté au goût du public. C’est pour concurrencer les autres distributeurs que nous l’avons également mis sur le marché.»
Pierre Moret, fondé de pouvoir à Tabac Distribution, tient exactement le même discours. Selon lui, les commandes de l’entreprise s’élèvent à une centaine de boîtes quotidiennes. Il compare le succès des candy sprays à celui, beaucoup plus médiatisé, des sucettes Pokémon. «Mais ce qui surprend dans l’engouement que suscite le candy spray, c’est justement l’absence totale de publicité.»
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Aline Bourgeois est enseignante à Genève. Elle collabore occasionnellement à Largeur.com.