- Largeur.com - https://largeur.com -

Quand personne n’assiste une personne en danger

Le 24 mai dernier, en plein jour, dans le train Dunkerque-Lille, une étudiante de 21 ans a été violée par une bande de jeunes gens. Près de 200 personnes étaient à bord de ce train composé de trois voitures non-compartimentées. Il ne s’est pas trouvé un seul passager pour lui porter secours. Aucune des six sonnettes d’alarme n’a été actionnée.

Il y a un an, le 12 juin 2000, des centaines de badauds dans Central Park avaient, eux aussi, fait preuve d’une passivité totale face à un drame. En ce dimanche, jour de parade des Portoricains, une cinquantaine de gaillards ivres se sont attaqués pendant une demi-heure à une trentaine de femmes, les inondant d’eau, arrachant leurs vêtements, pelotant leur intimité et volant leurs sacs. Personne n’a tenté de les défendre ou alerté la police.

En revanche, une dizaine de personnes ont sorti leur caméscope pour filmer les incidents. Les plus vénaux ont ensuite foncé jusqu’aux stations de télévision pour vendre leurs images à prix d’or.

Pour ces deux faits divers médiatisés, combien d’êtres humains violentés sous le regard de quidams apparemment indifférents? Comment expliquer pareille passivité? Faut-il parler de lâcheté, de non-assistance à personne en danger?

Ce phénomène, appelé «effet du passant» dans le jargon psy, est à l’origine de nombreuses recherches en psychologie sociale sur le comportement d’aide (lire à ce propos le dossier sur l’altruisme du magazine Sciences humaines). Quels sont les facteurs conditionnant l’aide qui va ou non être apportée à la victime?

Premier constat étonnant: la présence des autres inhibe les initiatives. En d’autres termes, plus les individus sont nombreux à assister au drame, moins la victime a de chance d’être secourue. En revanche, si un passant se retrouve seul avec la victime, dans 70% des cas, il la secourra! Les psychologues parlent de «diffusion des responsabilités». Chacun se décharge sur un tiers de son obligation d’assistance.

Un autre processus peut constituer un frein à l’aide: une situation difficilement interprétable. Lorsqu’un individu court après un autre, veut-il forcément l’agresser? Certains témoins évoquent l’ambiguïté de la situation pour justifier leur passivité.

Le degré de compétence pour intervenir dans une situation d’aide joue aussi un rôle important. Ainsi, on a pu observer que des infirmières aident autant les victimes lorsqu’elles sont en présence d’autres personnes que lorsqu’elles sont seules. Avoir eu des expériences antérieures de situations d’urgence constitue un très bon élément prédictif de comportement d’aide.

Enfin, selon Martine Fournier, membre du comité de rédaction du magazine Sciences humaines, «le coût imparti est un élément déterminant: tâcher ses vêtements, endommager sa voiture, risquer sa vie ou tout simplement avoir peur de se ridiculiser devant les autres, interviennent dans la décision.»

Dans une société où il est davantage question de droits que de devoirs, peut-être n’est-il pas inutile de rappeler celui qui consiste à défendre une personne en danger. L’indifférence des passagers du train pour Lille ou des badauds new-yorkais pouvant être assimilée à un crime de non-assistance à personne en détresse.

Indifférent, anesthésié, chacun passe son chemin en évitant soigneusement de rencontrer l’autre. Posture de détachement, désengagement, désertion, défaut de compassion à l’égard d’autrui: autant de caractéristiques de l’Occidental contemporain.

«Comment ont-ils pu commettre de tels crimes? Comment a-t-on pu laisser faire? Ces question reviennent, jumelles, à propos des atrocités commises au long du XXe siècle. L’impression est celle d’une double faute d’humanité, celle des assassins en chef qui ont voulu les barbaries et celle de tous les autres, public ordinaire et discipliné, au pire complaisant, au mieux indifférent, qui ne les en a pas empêchées.»

Dans la revue Mutations des éditions Autrement consacrée à «la tentation du détachement»(no 202, mars 2001), Ayyam Sureau démontre combien le sentiment d’indifférence et d’impuissance nous est aujourd’hui devenu familier.

——-
Geneviève Grimm-Gobat vit dans le Jura suisse. Elle collabore régulièrement à Largeur.com.