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Il est urgent de réformer les universités

Subventionner la recherche coûte cher aux autorités publiques. Pour garder ses hautes écoles ouvertes à tous, l’Europe devrait cibler davantage son soutien financier.

Le mois passé, l’EPFL annonçait que plus de 2 millions d’étudiants s’étaient inscrits à ses cours en ligne, les fameux MOOC (Massive Open Online Courses). Cette nouvelle anodine l’est beaucoup moins qu’elle n’y parait. Elle démontre que la révolution digitale touche également les hautes écoles. Former la tranche d’âge des 18 à 23 ans en leur imposant un lieu commun pour écouter des enseignants leur ressasser des informations accessibles en ligne, constitue un modèle quelque peu dépassé. De plus, les universités ont de la peine à adapter leur curriculum aux besoins du marché, en particulier aux nouveaux développements liés à cette révolution numérique tels que la science des données, l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, les développement web, etc.

La présence en ligne est un formidable démultiplicateur. Elle permet de tisser des liens avec les étudiants des pays émergeants, en particulier africains, très friands de MOOCs.

L’EPFL vient de faire un pas de plus en créant une «Extension School», dont tous les cours sont virtuels. Ces cours sont ouverts à tous, sans prérequis. Les participants doivent s’acquitter d’un écolage mensuel, et cette formation donne droit à des crédits ECTS et à un «Certificate of Open Studies». Chacun peut ainsi travailler à son propre rythme en fonction de ses besoins ou de ses contraintes, les participants étant pour la grande majorité déjà des professionnels. L’encadrement est personnalisé afin de répondre à la multitude de profils des apprenants.

La nécessité de repenser le modèle de formation a été mise en évidence par un retentissant article publié en 2014 par «The Economist», qui prédisait que près de la moitié des universités américaines auront fait faillite d’ici quinze ans. Le problème de la formation est particulièrement épineux aux USA sachant que beaucoup d’étudiants s’endettent pour obtenir un diplôme universitaire qui ne conduira pas obligatoirement à un emploi bien rémunéré. A titre indicatif, la dette des bourses d’étudiants américains est de plus de mille milliards de dollars, une bulle qui sera d’une ampleur comparable à celle des «subprimes» le jour où elle éclatera.

En Europe, à l’opposé des Etats-Unis, la majeure partie du financement des Universités est assuré par l’Etat et il est important que cela reste le cas. Les écolages y sont bas et il existe une forte résistance à les augmenter de façon significative. Face aux contraintes budgétaires, il deviendra donc de plus en plus difficile pour l’Etat de soutenir l’effort de recherche des hautes écoles car, comme l’a si bien dit le grand physicien Max Planck: «Chaque incrément de la recherche coûte plus que le précédent». Il y a donc un besoin urgent de repenser le modèle des hautes écoles.

En Suisse, la Confédération et les cantons devront peu à peu se résoudre à ne financer quelques universités fortement axées sur la recherche et ayant pour mission de créer des nouvelles connaissances. Ils devront encourager les autres institutions à repenser leur modèle de fonctionnement en abandonnant la recherche de pointe dans les domaines onéreux et en refocalisant leurs efforts sur la formation. Dans ce contexte, le mélange de cours présentiels associés à des cours en ligne se poursuivant tout au long de l’existence semble prédit à un bel avenir. Il devrait permettre à ses usagers de continuellement développer les compétences dont l’économie et la société ont besoin. C’est également le prix à payer si l’on veut prévenir l’émergence des Universités Google ou Facebook.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la NZZ am Sonntag. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.