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Moins mauvais que le pire

Conseiller fédéral effacé, élu par défaut, coutumier de dérapages, Ueli Maurer entend prolonger encore de plusieurs années sa présence au gouvernement. Ce qui arrange pas mal de monde.

Au début, personne n’y croyait. Surtout pas lui. Il disait, modestement, dans la NZZ: «Je ne m’en sens pas capable.» Et pour une fois tout le monde était d’accord avec lui: conseiller fédéral, la barre était un peu haute.

Résultat des courses, élu quand même, par défaut, parce que Blocher, son ami, son maître, ne l’était plus. Ueli Maurer est toujours là. Mieux, ou pire, c’est selon: il veut continuer. Jusqu’en 2023 au moins. Ueli l’insatiable.

Lui qu’on voyait comme simple porteur d’eau, apparatchik obtus, caricature d’UDC à la zurichoise. Les moutons noirs, c’était sous sa présidence. Une présidence carrée, fermée à toute dissidence, à toute tête dépassant ou renâclant, surtout si c’était une tête de femme. De la traîtresse Widmer-Schlumpf il avait vite fait de résumer la nature et le sort promis: «Un appendice qui doit être éliminé.»

Là où pourtant en quatre petites années au Conseil fédéral Blocher s’était étouffé lui-même sous son propre sectarisme, Maurer est réélu en 2011 et 2015. L’homme est sans doute plus habile qu’il n’en a l’air, lui le fils de paysan, ancien président de l’Union des maraîchers et tout de même un des très rare non universitaires à être entré au Conseil fédéral. Mieux: ayant effectué un apprentissage dans la vente, il n’a même pas suivi le gymnase. Difficile donc dans le landerneau politique suisse de trouver un personnage qui puisse davantage que lui se revendiquer, sans hypocrisie, homme du peuple.

Habile, car sachant se montrer quand il le faut collégial, aimable, consensuel. Ce n’était pas gagné. Maurer en effet c’est aussi une tentation permanente de barboter contre le courant. Surtout s’il est fort. On aura pu ainsi l’entendre minimiser les évènements de Tian’anmen et plus tard, les Panama Papers, trouvant dans le fond que tout cela n’était pas bien grave.

On l’a vu aussi attaquer frontalement Didier Burkhalter lorsque le Neuchâtelois était président de la Confédération, ou sa collègue Sommaruga; l’un pour manquement à la neutralité, l’autre pour xénophilie dispendieuse en matière d’asile. Rien n’y fait. Ni non plus que Maurer ait perdu comme Conseiller fédéral un nombre inhabituel de scrutins fédéraux, sa rouste la plus mémorable restant l’IVG (Interruption victorieuse du Gripen).

Tout cela semble glisser comme l’eau stagnante sur les plumes d’un vieux canard. S’il met à exécution ses menaces, Maurer, dans l’hypothèse la plus basse, serait encore Conseiller fédéral à 74 ans. Il faut quasiment remonter à Gustave Ador pour trouver aussi cacochyme dans un exécutif fédéral. C’était en 1919. Chapeau donc l’artiste.

On pourrait y voir, toujours, ce goût du contre-courant. Celui par exemple qui fait souffler sur le Conseil fédéral un vent de jeunisme échevelé, pour ne pas dire écervelé. Avec désormais l’accession de blancs-becs et de quasi jeunes filles au saint des saints. Alain Berset élu à 39 ans, Doris Leuthard à 43. Il y a des chances pour que ces perdreaux de l’année sortent du Conseil fédéral plus jeunes que Maurer lorsqu’il y est entré.

Sans doute lorsque Ueli le facétieux évoque comme date de départ 2027 et même 2031, il s’amuse. N’empêche un élément plaide en faveur de sa longévité. Le nom qui revient le plus souvent pour sa succession est un épouvantail qui fait peur à beaucoup de monde: Magdalena Martullo-Blocher, patronne d’EMS-Chemie et fille de.

Rien qu’à cette perspective, la gauche a des vapeurs. «Elle fait de la politique à l’extrême-droite» s’effare le patron du PS Christian Levrat. «La Suisse n’est pas une ploutocratie» ricane de son côté le conseiller national Roger Nordmann. Quant au zougois Thomas Aeschi, autre papable de choc, c’est un ultra-libéral à la sauce anglo-saxonne.

Bref, du coup papi Maurer apparait comme bien gentil et fort rassurant. C’est souvent là que se joue un destin de conseiller fédéral: plébiscité par défaut selon le sage principe que le mauvais vaudra toujours mieux que le pire.