Ma sœur et mon beau-frère sont assis en tête à tête dans un restaurant. La conversation va bon train quand une dame vient les interrompre: « Excuse-moi, Sylvain, je peux te déranger une minute? C’est mon imprimante qui me cause des ennuis.» Et la dame, une voisine, de s’asseoir avec le couple pour raconter ses problèmes informatiques.
Quelques semaines plus tôt, j’étais invitée à un dîner chez des amis. Nous étions en plein repas quand le fils de l’hôte, apprenant que j’étais journaliste spécialisée dans les nouvelles technologies, m’entraîne à part pour me dire : «Je n’arrive plus à me brancher sur Napster depuis que j’ai changé de version de navigateur. Tu ne sais pas comment je pourrais rétablir ma connexion directe?»
Nous sommes montés à son bureau pour essayer d’identifier le problème. Nous y avons passé deux heures.
Aujourd’hui, vous ne pouvez plus annoncer que vous travaillez dans le domaine informatique sans susciter des attentes chez vos interlocuteurs. Vous êtes immédiatement considérés comme une sorte de messie qui pourra enfin régler tel problème de logiciel, faire fonctionner tel périphérique.
Autrefois, le fait d’avoir un médecin dans la famille était considéré comme un atout majeur. On appelait le beau-frère toubib quand la petite dernière se plaignait de maux de ventre. On le prenait à l’écart dans les réunions familiales, on lui racontait ses malheurs, il jouait un rôle social.
Un rôle que tiennent aujourd’hui, bien malgré eux, les doués de l’informatique. Ils sont les nouveaux médecins de nos cercles sociaux. Ce n’est pas un hasard si les sites d’aide technique ont pris des noms médicaux: Ask Dr. Tech, Docteur PC, Docteur Diagnos.
Les «docteurs PC» ne se contentent pas de prescrire. Comme les vrais médecins, ils servent aussi d’oreille attentive, de soutien moral. Ceux qui ont la réputation de s’y connaître en informatique sauront de quoi je parle. Il y a toujours quelqu’un qui brûle d’envie de nous raconter en détail la dernière bêtise de son logiciel ou le fameux jour où il a perdu ses données.
Un de mes amis tombe en véritable déprime – léthargie et perte de motivation – à chaque fois que son ordinateur plante. La seule personne capable de le sortir de cet état est le technicien qui offre ses services à domicile. Comme un toubib, il se pointe chez lui avec sa trousse à instruments et écoute attentivement la liste des symptômes. «Ça dure depuis combien de temps? Qu’est-ce que vous faisiez quand le problème s’est pointé? Ça fait quoi quand j’appuie ici?»
Quel soulagement d’avoir enfin quelqu’un à qui parler!
Les magazines informatiques viennent aussi à la rescousse de leurs lecteurs. Le magazine américain PC World consacre par exemple son numéro de juin 2001 à un «guide de survie du soutien technique», orientant les utilisateurs vers les soins informatiques auxquels ils ont droit.
Les fabricants d’ordinateurs et les créateurs de logiciels ont voulu accroître leur marché et vendre leurs produits au plus grand nombre sans tenir compte des connaissances techniques de leurs clients. Ils ont soit disant simplifié les interfaces et ajouté des fonctions automatiques.
Pour s’attaquer à la concurrence, ils ont lancé sur le marché des logiciels qui étaient loin d’être au point. L’utilisateur moyen, victime de cet abus de confiance, se retrouve pris au dépourvu dès qu’un problème survient. Il doit remettre entre les mains des spécialistes cet ordinateur précieux qui contient tous les détails de son intimité: lettres personnelles, photos, musiques, budget familial. Il est nu face à la machine et laissera le «docteur PC» faire son travail. En détournant un peu les yeux.