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Pour l’amour d’une autre

Alice Vinteuil, coiffeuse, nous confie chaque semaine une chronique inspirée par les confidences de ses clients. Elle nous raconte aujourd’hui l’histoire d’un malentendu amoureux…

Depuis le jour où elle l’avait rencontré chez Anaïs, il n’avait plus quitté son cœur. Elle ne l’avait dit à personne, évidemment. Géraldine avait une réputation à défendre, celle d’une femme libre et affranchie, excitée par la seule conquête. «A côté de toi, le pire des hussards est une midinette», lui avait lancé un jour son amie Pauline. Pourtant ce qui jamais n’aurait dû arriver arriva: Géraldine était amoureuse. Follement amoureuse.

Après la soirée d’Anaïs, elle avait croisé plusieurs fois Raphaël, en général chez des amis communs. Elle affichait à son endroit une indifférence qu’un bon observateur aurait jugée suspecte, elle qui ne résistait pas à séduire, même les hommes les plus insignifiants. Mais elle ne voulait rien laisser paraître de son trouble.

De sa grand-mère, une paysanne du Loire-et-Cher, elle avait retenu cette leçon: «Les grandes passions ne sont que rarement le fruit d’un amour fou; elles naissent le plus souvent d’une bonne opportunité. Il faut être là au bon moment, c’est tout.»

C’est ainsi que Géraldine avait attendu sagement que Raphaël se sépare de son amie, qu’il en fasse son deuil (rien de pire que d’arriver en consolatrice) et qu’il reprenne goût à la vie. Elle avait eu raison. Ce soir, Raphaël l’avait invitée à dîner en tête-à-tête, au restaurant l’Oasis.

Pour être à la hauteur de ce premier rendez-vous, Géraldine s’était accordé une journée de congé: épilation le matin, massage entre midi et deux heures, coiffeur l’après-midi et teinturier en fin de journée pour récupérer sa robe Lolita de Lempicka, suffisamment sexy pour afficher ses envies, suffisamment classe pour ne pas paraître trop délurée.

Depuis des jours et des jours, elle imaginait la scène du restaurant: la gêne, puis la complicité, puis le rouge aux joues, puis les allusions plus ou moins subtiles, puis les regards, puis les gestes qui et les mots que… Tout était déjà dans sa tête.

Arrivée à l’Oasis avec ce petit quart d’heure de retard qui inquiète les amants impatients, elle s’assit en face de Raphaël. Il lui fit quelques compliments d’usage: la robe, l’élégance, le parfum si capiteux.

Ils commandèrent un mezze et une bouteille de rosé bien fraîche. Il lui expliqua son travail de lecteur aux éditions «Heure bleue»; lui raconta ses vacances à Zanzibar; lui parla de son amour pour la Formule 1. Géraldine qui n’avait même pas son permis de conduire se découvrit tout à coup une passion pour l’automobilisme.

«Chère Géraldine, lui dit-il au dessert, je crois le moment venu de vous dire la raison de mon invitation. C’est un peu délicat, mais je compte sur votre indulgence pour me pardonner mes maladresses…»

Géraldine se mit à rougir.

«Je connais votre réputation d’Amazone. Personnellement, je n’ai jamais vraiment cru à cette rumeur. Je vous crois plus sensible, plus tendre, plus vulnérable que l’image que vous vous donnez…»

Géraldine sentit son coeur battre sous la fine bretelle de sa robe. «Je pense que vous vous protégez.»

Géraldine savourait chacun des compliments de Raphaël.

«Ce n’est donc pas à la cruelle Géraldine que je m’adresse, mais à la Géraldine telle que je la ressens: aimable et dévouée. Je crois savoir que vous êtes proche de Pauline.»

Raphaël poussa un grand soupir. «Je l’ai rencontrée il y a dix jours chez les Pernod-Bruel. Depuis, elle ne cesse de m’obséder. Je ne dors plus, ne mange plus, ne peux plus me concentrer sur un seul manuscrit. Le Goncourt pourrait me passer sous le nez, je n’y verrais que du feu! Je suis malade de cette fille.»

Il poursuivit. « Malade, vous m’entendez? Je veux la revoir, j’ai besoin de lui parler, mais je ne sais comment faire. Alors j’ai pensé…. Je sais que vous êtes invitée à la soirée que Pauline organise samedi soir chez elle. J’aimerais que vous me preniez comme chevalier servant.»

Géraldine sentit son corps se vider.

«D’ordinaire, je suis plus téméraire, moins emprunté, mais là… Je sais que ma demande est cavalière. Elle fait de moi, soyez-en sûre, votre débiteur éternel. Mais un homme amoureux ignore le ridicule.»

Géraldine, devant respecter sa réputation de femme forte, encaissa sans broncher. Elle se surprit même à lui dire qu’elle ferait de son mieux, qu’il pourrait compter sur elle, qu’elle ne le décevrait pas.

Au terme de leur repas, il prit congé d’elle avec beaucoup de sollicitude. Géraldine se força à être polie alors qu’elle n’avait envie que de hurler.

Sitôt la porte de son appartement franchie, elle se mit à pleurer de tout son long. Les sanglots firent hoqueter son corps. Jamais, elle n’avait connu pareille déception. Jamais, elle n’avait éprouvé un tel sentiment de gâchis et d’injustice!

Que ferait-elle de sa vie désormais? Quel rêve pourrait-elle encore chasser? L’idée du suicide la caressa quelques secondes, puis elle se ressaisit et écouta son répondeur.

«Bonjour toi, c’est Pauline. J’ai rencontré récemment un homme très aimable, qui ne m’intéresse pas puisque je suis folle d’Alex, comme tu le sais. Mais j’ai pensé qu’il te plairait beaucoup. J’ai l’intention de l’inviter samedi prochain. Je te le présenterai. Montre-toi sur ton meilleur jour et, pour une fois ma chérie, ne joue pas les «Sex and the city»! Tu l’effrayerais. Ciao. Ah j’allais oublier, il s’appelle Raphaël. »