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Des colis par les airs

Les deux hôpitaux de Lugano se transmettent plusieurs fois par jour des échantillons de laboratoire, dans la plupart des cas des prélèvements de sang. Jusqu’à récemment, ce trajet d’un kilomètre était assuré par des chauffeurs. Mais depuis début octobre, le transport de ces échantillons se fait par drone, en collaboration avec La Poste. Au lieu des 20 minutes qu’il faut en voiture pour relier l’Ospedale Italiano et l’Ospedale Civico, le drone livre la marchandise en 4 minutes. Pour l’instant, les drones sont chargés et déchargés par des collaborateurs du géant jaune. A terme, il est prévu d’utiliser une station logistique automatisée, ce qui permettra au personnel hospitalier de charger les drones sans les prendre en main et de lancer le décollage via une application sur smartphone.

Un projet similaire a été lancé fin septembre par Siroop, la plateforme de commerce en ligne de Coop et Swisscom. Pendant trois semaines, elle a testé à Zurich la livraison par drone de certains produits. Les drones étaient chargés manuellement après commande et envoyés à l’une des quatre stations en ville où ils pouvaient atterrir. Un livreur venait ensuite récupérer la marchandise pour la transporter chez le client afin qu’il la reçoive le jour même.

Partout dans le monde, les initiatives dans le domaine des livraisons par drone se multiplient. En décembre dernier, Amazon a effectué sa première livraison à un particulier en Grande-Bretagne, une boîte de récepteur TV et du popcorn. Le géant américain est en train de miser massivement sur cette nouvelle technologie. L’année dernière, la société a déposé 78 brevets dans le domaine et a annoncé récemment l’ouverture prochaine d’un centre de développement de logiciels de gestion du trafic des drones près de Paris. Dans la même lignée, l’entreprise de logistique UPS est en train de tester un système où les drones fonctionnent comme assistants des conducteurs.

Sensible au vent

«Cet intérêt pour ce mode de livraison s’explique par la volonté des acteurs d’améliorer la logistique du dernier kilomètre explique Karine Doan, professeure en chaînes logistiques à la Haute école de gestion Arc à Neuchâtel. Car cette dernière est la partie la moins efficiente de la chaîne logistique, notamment à cause de trajets qui sont faits à vide ou qui doivent être faits à de multiples reprises. Par exemple, lorsque des livraisons contre signature sont effectuées au domicile et que la personne est absente ou encore des livraisons dans des zones peu peuplées qui ne permettent pas d’optimiser le transport.»

En effet, le dernier kilomètre peut représenter jusqu’à 20 % du coût total de la chaîne de valeur du transport de marchandises. Les drones sont-ils la clé pour une optimisation de cette dernière étape? Chez Siroop, on se montre prudent: «Une mise en place permanente du service n’est pas prévue dans l’immédiat. Nous allons analyser le test et le feedback des clients avant de définir ensuite les prochaines étapes du développement», dit Benjamin Linsi, porte-parole de la société. Pour cause: il reste de nombreux obstacles qui rendent difficile une application des livraisons à plus grande échelle. Par exemple, les drones d’aujourd’hui ne peuvent pas porter des objets lourds ou encombrants. Ainsi, les produits acheminés par les drones utilisés par Siroop étaient des grains de cafés, des lunettes de soleil ou des lames de rasoir – des produits qui pèsent moins de 2 kilos. Les conditions météorologiques jouent également un rôle: quand le vent souffle trop fort à Lugano, les échantillons sont à nouveau transportés en voiture.

Un autre défi de taille est l’obtention des autorisations de la part de l’Office fédéral de l’aviation civile. Pour le projet à Lugano, les négociations pour l’obtenir ont duré un an. Et encore, le cas est relativement simple à gérer: il s’agit d’un seul drone qui bouge sur une trajectoire bien précise. Pour éviter toute perturbation du trafic aérien, le drone – conçu par la société américaine Matternet, la même qui fournit les drones à Siroop – possède plusieurs capteurs qui émettent et reçoivent des signaux. «La problématique se pose d’autant plus si, à l’avenir, des milliers de drones-livreurs se trouvent dans le ciel en même temps», estime la professeure Karine Doan.

Selon l’experte, le vrai potentiel des drones se trouve dans sa complémentarité avec d’autres technologies. «L’intelligence artificielle pour l’estimation de trajets optimaux, des robots livreurs ou des véhicules volants: toutes ces technologies qui sont susceptibles d’émerger dans les prochaines années pourraient contribuer à rendre les livraisons plus efficaces.» Le potentiel est également important pour les livraisons dans des terrains difficiles d’accès ou dans des zones touchées par un cataclysme.