- Largeur.com - https://largeur.com -

Les robots qui construisent des maisons

Ils travaillent à moindre coût et plus précisément que les ouvriers de chantier. Ils utilisent aussi moins de ressources. D’incroyables robots constructeurs sont mis au point à Zurich et en Californie. Ils révolutionnent déjà l’industrie du bâtiment. Rencontre avec leurs inventeurs.

A quelques dizaines de mètres du mur entourant la vieille ville de Nuremberg, dans le nord de la Bavière, cette école paraît à première vue plutôt conventionnelle. Ses murs de bois ont pourtant été bâtis par un robot: une gigantesque machine de 56 m sur 11 m comprenant sept axes ainsi qu’un instrument modulable permettant de changer d’outil selon les besoins. L’installation robotisée a pu traiter, couper, raccorder et attacher les nombreux composants de l’école Maria Ward sans qu’un humain n’intervienne.

Le robot à portique qui a réalisé cette prouesse est l’œuvre de ROB Technologies, une spin-off de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ). En partenariat avec le groupe de construction suisse Erne, elle a développé le logiciel de contrôle de la machine, permettant un lien immédiat entre les dessins d’ateliers et le contrôle robotique.

Les robots constructeurs sont déjà parmi nous. Un peu partout, des projets visant à automatiser l’industrie du bâtiment voient le jour. Des chercheurs du MIT ont par exemple créé en début d’année un bras robotisé capable de construire une structure en forme de dôme de 15 m de diamètre en moins de 14 heures. Dans la même veine, le robot Hadrian X, développé par la société australienne Fastbrick Robotics, découpe lui-même les briques pour qu’elles soient à la bonne taille, puis s’en saisit et les dépose au bon endroit. En juillet dernier, le groupe industriel américain Caterpillar a d’ailleurs annoncé avoir investi 2 millions de dollars dans l’entreprise.

Pourquoi l’automatisation du secteur du bâtiment intervient-elle si tard alors que l’industrie automobile a connu sa révolution il y a plusieurs dizaines d’années? «Les robots industriels construisent toujours les mêmes pièces pour les voitures, répond Fabio Gramazio, professeur d’architecture et de fabrication digitale à l’EPFZ. Impossible de faire la même chose pour le domaine de la construction, car l’environnement de travail change constamment. On ne bâtit pas une maison de la même façon selon le site de construction, la culture ou le climat.» Il a donc fallu attendre que la digitalisation soit suffisamment avancée pour réduire les coûts et la complexité de cette technique.

Une maison en 24 heures pour 10’000 dollars

En augmentant la précision du travail et en évitant les erreurs, la robotisation permet d’améliorer l’efficience de la construction et de concevoir des structures plus complexes. Tout en utilisant moins de ressources et en réduisant la quantité de déchets produits. Démonstration avec le robot In Situ Fabricator, développé par Fabio Gramazio et son collègue Matthias Kohler. Cette machine est capable de produire une paroi courbée possédant un maillage très dense, de sorte que le mélange de béton incorporé par la suite ne s’échappe pas du coffrage. In Situ Fabricator construira la future maison des chercheurs du Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche. L’édifice servira, dès 2018, d’espace de vie et de travail pour expérimenter leurs inventions au quotidien.

Autre avantage avancé par les fabricants de robots: une hausse de la productivité. ROB Technologies développe ainsi, en collaboration avec le Future City Laboratory de Singapour, un robot mobile effectuant la pose de carrelage «jusqu’à deux fois plus vite qu’un humain». «La machine doit être réapprovisionnée toutes les 45 minutes environ et a été pensée pour pouvoir travailler de façon autonome sur le site de construction», explique Tobias Bonwetsch, fondateur de ROB Technologies. Comme pour l’installation robotisée pour constructions en bois, la société zurichoise a développé le logiciel de contrôle. «Le principal défi de ce projet consiste à faire en sorte que le robot soit capable d’évoluer dans un environnement qui n’est que partiellement connu, dit Tobias Bonwetsch. Pour qu’il puisse se déplacer correctement sur un chantier et éviter les obstacles, le robot est équipé de plusieurs capteurs. Cela lui permet de détecter son environnement et de le comparer aux conditions théoriques.» ROB Technologies espère présenter un prototype totalement fonctionnel d’ici à la fin de l’année.

Construire plus vite et de façon plus efficace: tel est également le credo d’Apis Cor, une start-up basée à San Francisco. En mars dernier, elle a imprimé en trois dimensions une maison-test en Russie, où elle possède un partenaire, en moins de 24 heures. La machine – qui ressemble à une petite grue – possède un axe sur lequel elle peut tourner à 360°. «L’impression 3D permet d’économiser jusqu’à 70% des coûts de construction de la structure par rapport à des techniques traditionnelles, indique Nikita Cheniuntai, fondateur de la start-up. En minimisant le travail manuel, en réduisant la quantité de matériau requis pour construire les murs et en automatisant le processus, les coûts d’une telle maison s’élèvent à 10’000 dollars.»

Dubaï se positionne en précuseur

Bâtir une maison grâce à l’impression 3D reste toutefois un travail ardu, selon Nikita Cheniuntai. «Il s’agit d’une toute nouvelle approche dans le domaine du bâtiment. Elle doit être testée et approuvée, notamment en ce qui concerne la sécurité et les risques sismiques.» Ces contraintes n’empêchent pourtant pas Apis Cor de développer d’autres procédés: la société travaille en ce moment sur une nouvelle imprimante 3D adaptée aux constructions de grande hauteur.

Nikita Cheniuntai entrevoit un grand potentiel pour l’impression 3D. Et se risque à des hypothèses: «Peut-être que les premières structures installées sur la Lune ou Mars seront réalisé par des imprimantes 3D mobiles…» Fabio Gramazio, à l’EPFZ, est plus réservé. «Il s’agit en effet de la technique la plus durable, mais elle n’est pas encore fonctionnelle. On ne verra pas de bâtiment imprimé en 3D avant 50 ou 100 ans.» Dubaï pourrait pourtant faire figure d’exception. Le dirigeant de la ville des Emirats arabes unis a lancé en 2016 une stratégie dont le but est de faire de la métropole un hub de l’impression 3D. Il souhaite notamment que 25% des bâtiments de la ville soient construits de cette façon d’ici à 2030.

«Plus d’humains sur les chantiers d’ici à 2050»

L’arrivée des robots maçons annonce-t-elle la lente mort des métiers du bâtiment? Le groupe britannique de construction Balfour Beatty est catégorique: «Il n’y aura plus d’humains sur les chantiers d’ici à 2050. Leur rôle sera de gérer plusieurs projets en même temps en accédant à des données et des visualisations 3D et 4D du site. Les seules personnes qui auront accès aux chantiers seront équipées d’exosquelettes robotisés.» Fabio Gramazio tempère: «Les machines auront toujours besoin d’humains pour être efficientes. L’environnement est beaucoup trop complexe pour s’en passer complètement. En revanche, les profils des travailleurs changeront: il y aura par exemple davantage de programmeurs.»

Balfour Beatty prédit également l’arrivée de drones sur les chantiers. Fabio Gramazio rejoint la société britannique sur ce point. «Imaginez: des centaines de drones virevoltant au-dessus d’un chantier, portant des pièces et les plaçant au bon endroit. Plus besoin de grues!» L’architecte est formel: les drones feront partie intégrante des sites de construction de demain.

________

Une version de cet article est parue dans Le Temps.