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L’optique pour nous sauver du déluge de données

La photonique semble être l’outil idéal pour faire face à l’afflux de données. Reste néanmoins un défi majeur: convertir les données électroniques en lumière sur les puces de silicium.

La quantité de données générées dans le monde menace de devenir incontrôlable. Selon le rapport «Beyond Fast» de l’Université technique d’Eindhoven et du cabinet de conseil néerlandais Dialogic, le trafic augmente à hauteur de 40% par an dans de nombreux pays. Une situation qui risque d’empirer, avec la multiplication par trois du trafic web prévue ces cinq prochaines années.

Comme le souligne Bert Jan Offrein, responsable photonique chez IBM Research, les centres de données en sont en grande partie responsables: «Les échanges à l’intérieur même et entre les centres de données représentent 75% des flux de données, soit une part nettement supérieure à celle des échanges entre les centres et les utilisateurs.»

Une accélération fulgurante

Face à la demande croissante en services cloud, les centres de données se développent à un rythme effréné. Les processeurs intègrent toujours plus de transistors, les cartes mères davantage de processeurs et les centres de données toujours plus de racks. Le plus grand du monde, le Citadel Campus, à Tahoe Reno dans le Nevada, s’étend ainsi sur près de 700’000 m², soit 61 terrains de football.

Mais dans cette configuration, la communication d’un rack à l’autre exige de transférer des données sur des distances et à des vitesses que la fibre optique actuelle n’est pas capable de prendre en charge correctement. Une vitesse supérieure à 100 To/s par cœur de fibre provoque d’importantes distorsions au niveau des signaux de données pouvant entraîner la fusion du cœur de la fibre.

Lars-Ulrik Aaen Andersen et ses collègues de la Danmarks Tekniske Universitet sont à la pointe des fibres optiques nouvelle génération, capables de gérer un trafic important. Ils ont surmonté les problèmes de transmission en créant des multiplexeurs optiques avec une fibre monomode à grand nombre de brins. Combiné à des amplificateurs, le système offre une transmission optique d’une très haute capacité, correspondant à un pétaoctet (soit 1015 octets ou 223’000 DVD) par seconde sur 1000 km.

«Ce n’est pas une solution théorique. Nous en avons fait la démonstration physique. C’est fantastique», dit le chercheur. Ce système pourrait permettre de diviser par dix le coût, l’énergie et l’espace requis en moyenne pour chaque octet d’un centre de données.

La modulation sur puce

Pour transférer des données via une fibre optique, le signal électronique sur la puce doit être converti en lumière. L’opération a généralement lieu dans le câble, la gaine incluant des lasers, détecteurs et équipements électroniques contribuant

à moduler les impulsions de lumière. Plus la conversion électro-optique est réalisée près de la puce, plus la performance de transmission est élevée. Les chercheurs du monde entier tentent donc de rapprocher au maximum l’optique du processeur, le but ultime étant d’effectuer la conversion directement sur la puce. Les liaisons électriques et optiques se trouveraient ainsi côte à côte à l’échelle nanométrique.

La conversion de données électroniques en lumière sur puce de silicium s’avère compliquée, selon Jonathan Finley, chercheur au Walter Schottky Institut de la Technische Universität München. «Dans l’informatique, cela fait soixante ans que l’on travaille exclusivement avec le silicium, qui n’émet pourtant pas de lumière.» D’où l’émergence d’une nouvelle science des matériaux: la photonique sur silicium.

Le chercheur et ses collègues ont développé de minuscules lasers à nanofils 1000 fois plus fins qu’un cheveu humain, pouvant générer et transmettre de la lumière sur la puce. «Nous avons créé des filaments d’arséniure de gallium sur des guides d’ondes en silicium, précise-t-il. Ce matériau était déjà utilisé dans le tout premier laser conçu. Cependant, nous avons découvert que si ces cristaux sont très fins, avec un diamètre de 300 nm, ils sont extrêmement efficaces.»

Pour donner une idée de la révolution qui se joue ici, il faut rappeler qu’un moteur de recherche classique utilise environ 1 nanojoule d’électricité par octet. Or, le laboratoire est passé à un femtojoule par octet. «Nous avons multiplié par 1 million l’efficacité énergétique de chaque octet d’information, indique Jonathan Finley. à plus vaste échelle, cette innovation pourrait réduire drastiquement la consommation mondiale d’énergie liée à l’informatique.»

Ces quatre dernières années, d’autres laboratoires, comme celui de Lars-Ulrik Aaen Andersen, ont pu générer de la lumière sur des puces en silicium. «Certains de nos travaux sur la communication laser sur puce sont cruciaux, avance-t-il. Je pense que nous sommes proches d’une percée qui aboutira à un produit commercial.» Jonathan Finley est tout aussi optimiste. «Les lasers sur puce pourraient être commercialisés d’ici six à huit ans.»

Les progrès liés aux polymères

à l’ère de la photonique sur silicium, les polymères pourraient permettre d’intégrer la photonique sur les semiconducteurs composés et les plateformes en silicium. Sous l’égide du pionnier de la photonique britannique, Michael Lebby, l’entreprise américaine Lightwave Logic Inc. a conçu de nouveaux modulateurs à guides d’ondes à crête à l’aide de polymères organiques. Plus résistant aux variations de température, ce matériau présente un fort potentiel de performance et d’efficacité énergétique. De plus, comme les polymères résistent à une chaleur extrême, ils peuvent être pulvérisés sur le silicium durant la production de puces standards.

Les modulateurs peuvent déjà transmettre des données à des vitesses supérieures à 50 Go/s et pourraient être utilisés dans diverses configurations 4 x 50 pour atteindre 400 Go/s, une vitesse dont se rapprochent de nombreux centres de données. L’équipe travaille désormais sur des structures avancées en polymères qui permettraient aux émetteurs d’aller jusqu’à 800 Go/s. «D’ici dix ans, les circuits intégrés photoniques avec des polymères permettront de surmonter le déluge de données, indique Michael Lebby. Les polymères présentent beaucoup d’avantages: stabilité à haute température, fiabilité, performances élevées, faible puissance et techniques de fabrication simples. Ainsi, ils sont idéaux pour créer des moteurs polymères pour les applications de données, mais aussi pour d’autres secteurs: santé, biens de consommation, automobile ou produits transportables fonctionnant sur batterie.»

La nouvelle ère de l’informatique photonique

L’avenir de l’informatique reposera-t-il entièrement sur la photonique? Les chercheurs imaginent un futur où l’informatique abandonnerait les électrons au profit de la lumière. «Il ne faut pas se méprendre: l’informatique optique sera différente de l’informatique d’aujourd’hui, prévient Jonathan Finley. Quand on entre des 1 et des 0, les transistors électroniques effectuent des opérations mathématiques spécifiques. Avec l’informatique optique, le transistor pourrait différencier un élément, l’intégrer ou modifier sa phase. Ainsi, les résultats pourraient être bien plus nuancés.»

L’efficacité énergétique des systèmes entièrement photoniques s’avère particulièrement intéressante pour les ingénieurs travaillant sur l’informatique neuromorphique qui imite l’architecture du cerveau. «Les ordinateurs électroniques sont relativement lents et plus ils sont rapides, plus ils consomment d’énergie», indique C. David Wright, professeur à l’Université d’Exeter. Ce dernier a récemment contribué à la conception d’une synapse entièrement photonique parfaitement intégrée, similaire à son homologue biologique.

«Les ordinateurs classiques sont limités: ils n’ont pas les capacités de traitement parallèle et d’apprentissage intégré du cerveau humain, ajoute-t-il. Nous nous attaquons à ces deux problèmes en développant des architectures informatiques similaires au cerveau et en exploitant les gains de vitesse et de puissance de la révolution de la photonique sur silicium à venir.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 15).