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Munich, laboratoire de la voiture numérique

Les constructeurs, start-ups et hautes écoles de la capitale bavaroise s’allient pour transformer l’industrie automobile allemande.

La Digital Product School de Munich n’est pas une école comme les autres. Depuis son ouverture en avril 2017, des employés de groupes automobiles ou du secteur numérique s’y retrouvent pour un «apprentissage par la pratique» encadré par des experts. «Nous travaillons sur de vrais problèmes rencontrés par l’industrie automobile, avec une approche centrée sur le consommateur», précise Thomas Zeller, Chief Digital Officer du projet opéré par le centre d’entrepreneuriat UnternehmerTUM.

Une équipe a par exemple planché sur une solution pour permettre aux automobilistes d’utiliser leur temps de manière efficace lorsqu’ils sont coincés dans les embouteillages. Une autre a travaillé sur l’utilisation de l’intelligence artificielle pour améliorer l’expérience des occupants d’un véhicule après un accident de la route. «Mais notre programme ne se limite pas à des technologies et des services liés à la voiture, précise Thomas Zeller. Il y est aussi question de sécurité des drones ou de mobilité à l’intérieur des bâtiments.»

Cette «école» constitue le premier volet d’une initiative plus large: fin 2016, le Ministère allemand de l’économie a choisi la capitale bavaroise pour accueillir le projet Digital Hub Mobility. L’objectif? Tester de nouveaux concepts en matière de mobilité et réunir pour la première fois entreprises de l’automobile et du numérique, fournisseurs, start-up et scientifiques. BMW, Audi, Daimler, IBM et Facebook figurent parmi les partenaires.

Fabrique d’idées

Munich prend ainsi officiellement la tête de la grande transition numérique de l’industrie automobile allemande. Et l’enjeu est de taille: la survie de cette dernière en dépend. À l’ère prochaine de la voiture connectée et autonome, face à de nouveaux concurrents de poids comme Google ou Apple, elle se voit forcée de revoir son modèle industriel. Sans compter une autre lame de fond, celle de l’électrique, que les constructeurs ont embrassée avec une ardeur renouvelée depuis le «dieselgate».

Le leadership de Munich repose sur un écosystème unique. «La Bavière se trouve en pole position de l’industrie automobile mondiale, explique Wolfgang Hübschle, directeur d’Invest in Bavaria, qui aide les entreprises à s’implanter dans la région. Trois des principaux constructeurs, BMW, Audi et MAN (camions et autobus, ndlr), y ont leur siège et continuent d’y renforcer leur présence.» BMW prévoit par exemple une immense extension de son centre de recherche et d’innovation pour créer une «nouvelle usine à idées».

La construction d’un premier complexe devisé à 400 millions d’euros, pour accueillir 5000 employés supplémentaires, vient de démarrer. Côté innovation, la capitale bavaroise peut compter sur la présence de milliers d’entreprises high-tech, de 15 hautes écoles et d’une dizaine d’incubateurs. La commission européenne l’a d’ailleurs positionnée à la première place de son classement European ICT Locations, soulignant que la ville remplit toutes les conditions pour une digitalisation réussie de l’économie.

Big data et conduite autonome

Les universités et hautes écoles constituent un pilier fondamental de cet environnement en pleine effervescence, tant pour l’apport de main-d’œuvre qualifiée que pour l’émergence de nouvelles idées. Le professeur Markus Lienkamp, directeur de l’Institut de technologie automobile à l’Université technique de Munich (TUM), souligne l’engouement des étudiants. «Au niveau Master, ils sont 400 à suivre le cours sur la mobilité électrique, qui est pourtant facultatif. Et 99% de nos doctorants rejoignent directement l’industrie après leur diplôme.»

Dernier signe en date du pouvoir d’attraction de Munich, des constructeurs automobiles d’autres régions d’Allemagne, mais aussi d’autres pays, l’ont choisie pour affronter certains défis futurs: Volkswagen le big data et l’internet des objets, Volvo et Autoliv la conduite autonome. Quant aux nouvelles marques chinoises Nio et Future Mobility Corp, elles y ont implanté des centres de développement et de design.

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Taxi volant électrique

La start-up Lilium s’est fixé pour mission de répondre au problème de la pollution et de la congestion du trafic dans les centres urbains en passant par les airs. Son produit? Un drone habitable d’une portée de 300 kilomètres, électrique et silencieux, pouvant accueillir cinq personnes. L’appareil décolle et atterrit verticalement, ce qui lui permet de se poser en ville. Sa vitesse de croisière atteint 300 km/h. La vision de Lilium repose sur la mise en place d’un réseau de plateforme d’atterrissage et d’une application permettant aux usagers de réserver rapidement un vol comme ils le font aujourd’hui pour une course en taxi. Créée en 2015, l’entreprise a effectué avec succès son premier vol test en avril 2017. Dans la foulée, elle est parvenue à lever 90 millions de dollars. Le fondateur de Skype, Niklas Zennström, et celui de Jawbone, Alexander Asseily, figurent parmi les investisseurs. Le premier vol habité est prévu en 2019, pour une mise en service en 2025.

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Chemins de fer connectés

Konux aide les compagnies ferroviaires à mieux anticiper et organiser leurs travaux de maintenance. La solution de la start-up lancée en 2014 repose sur trois piliers: des senseurs pour mesurer l’état des équipements, des algorithmes utilisant l’intelligence artificielle pour détecter et prévoir les anomalies et une interface pour transmettre les résultats à l’utilisateur et lui conseiller les actions à entreprendre. Saluée notamment par le magazine Forbes, qui estime qu’elle «fait entrer la maintenance du rail dans le XXIe siècle», la jeune pousse munichoise de 35 personnes a récemment levé 16 millions de dollars, qu’elle entend utiliser pour s’étendre sur le marché européen. Elle collabore déjà avec Deutsche Bahn.

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Un véhicule pour les pays en développement

L’Institut de technologie automobile de l’Université technique de Munich a conçu aCar, une voiture électrique spécialement pensée pour les zones rurales des pays en développement. «Il est ressorti de nos évaluations au Nigeria, au Ghana, en Tanzanie et au Kenya que les habitants des campagnes rencontrent d’importants problèmes de transport, par exemple pour amener leurs récoltes en ville, souligne le directeur de l’institut, Markus Lienkamp. Les routes sont mauvaises et les stations-service rares.» Les chercheurs ont donc imaginé un petit camion tout-terrain entièrement électrique. «Très robuste et bon marché, il peut être fabriqué localement grâce à des techniques d’assemblage simples», poursuit Markus Lienkamp. Plus de 150 étudiants ont contribué à l’élaboration d’aCar, qui a suscité l’enthousiasme au dernier Salon de Francfort. La spin-off Evum Motors se charge désormais de la phase d’industrialisation et de commercialisation du projet. Les premières livraisons sont prévues en 2018.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 15).