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Donner un surnom à sa maladie

Certains patients chroniques attribuent un nom familier à leur maladie, ce qui leur permet de mieux cohabiter avec elle. Exemples et témoignages.

«Pamela, j’ai parfois l’impression de mieux la connaître que ma mère!» En écoutant Éric (prénom d’emprunt), 23 ans, prononcer cette phrase, on peine à deviner s’il plaisante ou pas. Atteint de mucoviscidose, il vit depuis l’enfance au rythme de la maladie, à laquelle il a fini par donner ce prénom féminin, qui évoque les plages californiennes et les cheveux péroxydés. «Il y a cinq ans, je suis tombé par hasard à la télé sur une émission qui présentait des séries des années 1990. Quand cette fille blonde en maillot de bain rouge s’est mise à courir sur le sable (Pamela Anderson, l’actrice phare de la série Alerte à Malibu, ndlr), cela a provoqué comme un déclic. Allez savoir pourquoi…»

Depuis, le jeune homme n’utilise presque plus que ce surnom lorsqu’il fait référence à sa maladie, du moins dans son cercle familial. «Au début, mes parents et amis me regardaient un peu bizarrement quand je disais “Pam dort encore ce matin” ou “Pamela n’est vraiment pas contente aujourd’hui”. Mais ils s’y sont faits et aujourd’hui, ils sont les premiers à prendre des nouvelles de ma “copine”!»

En donnant un surnom à sa mucoviscidose, Éric est parvenu à surmonter un obstacle auquel sont confrontés de nombreux patients atteints d’une affection grave: quel qualificatif associer à un état qui les accompagne durant des mois, des années, voire toute une vie? Comment s’approprier une réalité si bouleversante? Le cas du jeune Français n’est pas isolé. Sur la Toile, les forums santé regorgent de témoignages de personnes atteintes d’un cancer, d’une sclérose en plaques ou encore d’un diabète sévère, qui évoquent leur quotidien avec «Marc», «La dame verte», «Mon fidèle compagnon»…

«Cette conception profane de la maladie, qui consiste à la personnifier pour entrer en relation avec elle, s’observe essentiellement chez les patients chroniques», relève Francesco Panese. Selon le professeur d’études sociales de la médecine à l’Université de Lausanne (UNIL), il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau: «De tout temps, vraisemblablement, les cultures ont considéré des maladies comme des entités dotées de personnalités et d’intentions, une conception mise à mal par la médecine moderne occidentale née au XIXe siècle.»

Les traitements aussi

«Les anthropologues constatent pourtant régulièrement que cette conception profane de la maladie résiste jusqu’à aujourd’hui. On peut y voir une manière subjective de tenter de cohabiter avec elle», explique le sociologue. Les patients confient d’ailleurs souvent qu’afin que cette cohabitation soit la plus harmonieuse possible, leur maladie doit à la fois être soignée et respectée. Lui donner un surnom participe à la création de ces liens pacifiques, tout en permettant au malade de donner du sens au traumatisme qu’il doit surmonter.

Par ricochet, la qualité de vie du patient peut s’en trouver améliorée, car «généralement, on se porte mieux lorsque l’on donne du sens à sa maladie». Chez certains patients, ce besoin se manifeste aussi sous d’autres formes, par exemple en «cherchant à tout savoir sur leur maladie afin de domestiquer leurs inquiétudes». Francesco Panese constate que la société contemporaine est plus ouverte à cette complémentarité des sens entre le médical et le profane: «Dans les années 1960, un médecin aurait peut-être ricané si un patient lui avait parlé de sa maladie en lui donnant un surnom…»

Les maladies ne sont pas les seules à se voir attribuer des surnoms par les patients. Il en va de même pour les éléments périphériques, traitements et matériel médical en tête. Sur son blog «Ma vie de sediste», une jeune femme belge atteinte du Syndrome d’Ehlens-Danlos (SED) explique qu’elle appelle le Lévocarnil «Mon petit Lévovo» et le Baclofène, «Bacloclo». Lorsqu’elle a une séance de kinésithérapie, elle dit «J’ai Harry», et pour une séance d’hydrothérapie, c’est plutôt «Je vais à la piscine». Quant à son dévisse-bouchon, elle l’a baptisé «Canari». La blogeuse précise que ce recours aux surnoms «s’est fait plutôt naturellement», sans qu’elle s’en rende compte, et confie trouver le quotidien «tellement plus agréable» ainsi.

Dans le cadre de ses travaux de recherche sur l’impact du traitement anti-VIH sur la vie des patients, Noëllie Genre a, elle aussi, observé une forte propension à la personnification du traitement: «Alors qu’au début de leur traitement, certains patients qualifient leurs médicaments de bombes, ils établissent ensuite une relation avec eux, en créant un cadre de référence plus familier.» La doctorante de l’Institut des sciences sociales de l’UNIL cite quelques termes entendus durant ses entretiens: «Mon ami que je vois tous les jours», «Mon copain», voire «Mon meilleur copain».

Mia, Ana, Skip et autres noms de code

Il existe aussi une catégorie de surnoms utilisés de façon beaucoup plus systématique, au point d’en être codifiés: ceux liés à certains troubles du comportement, alimentaire en tête. Pour la grande majorité des jeunes femmes anorexiques de la génération Y et Z, le prénom «Ana» renvoie en effet automatiquement à leur maladie, alors que leurs contemporaines boulimiques lui préfèrent «Mia». Côté masculin, on peut citer «Skip» pour la schizophrénie ou encore «Owen» pour les TOC (voir encadré).

Une standardisation qui remonte à la fin des années 1990 et au début des années 2000, lorsque se forment sur Internet de gigantesques communautés liées aux troubles du comportement alimentaire. Les grands portails comme Yahoo! et AOL se mettent à censurer l’utilisation des termes «anorexie» et «boulimie». Naissent alors «Ana» et «Mia», destinées à contourner la censure. Aujourd’hui, quand on fait une recherche sur la Toile avec ces prénoms, on tombe sur des centaines de blogs et forums consacrés à ces troubles. «Il est parfois plus simple de dire “Ana me fait chier, j’aimerais bien lui foutre mon pied au cul” que “Je veux m’en sortir ”, parce qu’il est plus simple d’agir sur les autres que sur soi», commente l’auteure du blog «Mia-solitude».

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Prénoms courants

Les prénoms systématiquement associés à certains troubles du comportement:

Anorexie : Ana/Rex

Boulimie : Mia/Bill

Dépression : Deb/Dan

Auto­mutilation : Cat/Sam

Paranoïa : Perry/Pat

Insomnie : Izzy/Isaiah

Schizophrénie : Sophie/Skip

Anxiété : Annie/Max

Suicide : Sue/Dallas

TOC : Olive/Owen

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Les aventures de «Rosy»

En 2015, on diagnostique à Marine Barnérias – alors âgée de 21 ans – une sclérose en plaques (SEP). Plutôt que de s’apitoyer sur son sort, l’étudiante décide de réaliser un rêve: faire un long et lointain voyage. Seule et sac au dos, elle parcourt pendant huit mois trois pays: la Nouvelle-Zélande, la Birmanie et la Mongolie.

Durant la première étape de ce périple, la jeune Française baptise sa SEP «Rosy», une manière selon elle de mettre un joli mot sur quelque chose de très laid. Libérée d’une partie du poids de sa maladie, Marine Barnérias décide d’apprivoiser Rosy et de partir avec elle vers de nouvelles aventures. L’une d’entre elles est un livre, Seper Hero, publié cette année aux éditions Flammarion.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 13).

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