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Quand le béton se met au vert

Le béton est le matériau de construction le plus utilisé au monde, mais son coût environnemental est élevé. L’industrie du ciment et du béton doit trouver des alternatives pour réduire l’impact de sa production.

Routes, ponts, immeubles de bureaux, habitations: le béton est partout, au point de devenir synonyme de développement urbain. L’utilisation de ce matériau extrêmement polyvalent explose notamment dans les pays émergents et en voie de développement, accompagnant la croissance rapide des villes.

Une clarification s’impose: le ciment et le béton sont deux choses distinctes. Le premier est une poudre qui, mélangée à de l’eau et des granulats de sable et de roche, forme le second. Et si l’Égypte et la Rome antiques utilisaient déjà ce liant, notre cher ciment Portland date seulement des années 1800. Le ciment est aujourd’hui devenu le produit le plus fabriqué au monde et le béton, la deuxième matière la plus consommée en termes de volume par les humains, après l’eau.

Impact non négligeable

Toutefois, l’impact environnemental du béton s’avère lourd. L’extraction de sable et de gravier entraîne la disparition de plages, des phénomènes d’érosion et des problèmes environnementaux, comme la pollution ou la perte de la biodiversité. En Indonésie, des îles entières ont été rayées de la carte à cause de l’extraction intensive de sable. Des «mafias du sable» détruisent illégalement en Inde et au Maroc des côtes pour satisfaire la demande du secteur de la construction.

La quantité de granulats extraits en 2012, estimée à 25,9 milliards de tonnes, suffirait à construire un mur de 27 m de haut et d’épaisseur parcourant l’ensemble de l’équateur terrestre. Mais c’est la fabrication du ciment qui pèse le plus lourd dans le coût environnemental du béton. L’industrie engendrerait jusqu’à 10% des émissions mondiales de CO2 d’origine humaine comptant ainsi parmi les premières causes industrielles du réchauffement climatique.

Le ciment Portland se déroule en deux étapes. Tout d’abord, des matières premières, notamment du calcaire et d’autres minéraux, sont extraites, concassées et réduites en poudre. Cette dernière est cuite à 1450° C dans un four à ciment et prend la forme de petits nodules durs qu’on appelle le clinker. Le clinker est ensuite broyé avec d’autres minéraux pour obtenir une poudre, le ciment.

D’après Detlef Heinz, professeur en ingénierie minérale à la Technische Universität München et fort d’une solide expérience dans l’industrie du ciment, c’est la production du clinker qui est responsable des émissions de CO2. En effet, les fours consomment d’énormes quantités de combustibles fossiles et les réactions chimiques qui interviennent dans la formation du clinker émettent du CO2.

Réduire la quantité de clinker

L’industrie du ciment connaît depuis longtemps la gravité du problème. En 2009, ses acteurs ont publié le plan «Cement Technology Roadmap 2009» dont l’objectif est d’aider le secteur à réduire ses émissions de CO2 de moitié d’ici à 2050. «Pour réduire les émissions, explique Detlef Heinz, nous pourrions avoir recours au captage et stockage du dioxyde de carbone (dit CCS), qui consiste à capturer le CO2 issu de la production de ciment, à le séquestrer et à l’utiliser pour fabriquer d’autres produits, tels que du méthane.» Séquestrer le CO2 et alimenter les fours en combustibles au bilan carbone neutre, serait-ce ça la solution?

Probablement pas, si l’on en croit le Rapport 2016 du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) sur les ciments éco-efficaces. Les experts de l’ONU concèdent certes que le CCS peut s’avérer nécessaire pour maintenir le réchauffement climatique à moins de 2° C par an, mais ils privilégient d’autres solutions à court terme. Detlef Heinz partage cet avis: «Je pense que la stratégie première est celle que l’Europe poursuit depuis plusieurs décennies déjà, à savoir utiliser des matières secondaires pour réduire la part de clinker dans le ciment.»

En utilisant moins de clinker, nous pourrions réduire considérablement les émissions de CO2 lors de la fabrication du béton. Le clinker traditionnel peut par exemple être remplacé à hauteur de 60% par des cendres volantes, produit dérivé de la combustion de charbon. Autre alternative répandue: le laitier granulé formé dans les hauts-fourneaux lors de la fusion de fer et d’acier, qui peut diminuer de 80% les besoins en clinker.

Cependant, Karen Scrivener, directrice du Laboratoire des matériaux de construction à l’école polytechnique fédérale de Lausanne, doute que ces substances remplacent efficacement le clinker. Celle qui comptait parmi les principaux chercheurs impliqués dans l’étude du PNUE signale que l’utilisation de cendres volantes et de laitier de haut-fourneau peut entraîner de graves problèmes.

«Le taux actuel de remplacement du clinker est en moyenne de 20% à l’échelle mondiale. Mais la disponibilité des matières de substitution est limitée, avertit-elle. Le laitier ne pourrait assurer que 8% environ de la production de ciment, et les cendres volantes de 8 à 10% environ. Et pour ces dernières se pose bien sûr une question: combien de temps allons-nous encore exploiter le charbon, sachant que cela produit énormément de CO2

La chercheuse et son équipe suisse ont peut-être trouvé une meilleure solution. En collaboration avec des scientifiques en Inde et à Cuba, ils ont développé un ciment à base d’argile calcinée pouvant réduire le besoin en clinker de moitié et les émissions globales de CO2 de 30%. Tout aussi solide que le ciment normal, il possède des propriétés idéales pour les zones côtières où les structures en béton armé sont en proie à la corrosion. Testé actuellement à Cuba, il servira à la reconstruction du pays, dévasté par l’ouragan Irma.

Recycler

On peut trouver de l’argile calcinée en très grande quantité dans les résidus de mines. «Ainsi, pas besoin d’extraction, commente Karen Scrivener. Sur un site minier en Chine, il existe un terril qui en contient 10 millions de tonnes, soit deux ou trois fois le volume de ciment utilisé par an.» D’autres matériaux peuvent être recyclés et réutilisés pour la production de béton, notamment du béton usagé.

Lisbeth M. Ottosen, professeure spécialisée dans la récupération des ressources à la Danmarks Tekniske Universitet (DTU), ne voit pas une ressource usagée comme un déchet mais comme un apport utile pour une autre production. Elle est membre de ZeroWaste Byg, une équipe de recherche interdisciplinaire travaillant sur la réutilisation des matériaux de construction pour une société sans déchets.

Cette équipe étudie la possibilité d’utiliser des cendres végétales, issues par exemple de centrales électriques danoises à combustion de bois. «Il ne s’agit pas que de réutiliser les granulats, analyse la spécialiste. Je me concentre aussi sur les ressources qui sortent du cycle des matières et deviennent des déchets.» Par ailleurs, un étudiant de la DTU au Groenland tente de remplacer les polymères vierges par des fibres de filets de pêche dans le béton renforcé de fibres.

Problématiques locales

Le manque d’alternatives aux granulats de sable et de roche pour le béton est fort problématique dans certains pays comme la Chine. Il faut environ 200 tonnes de sable pour construire une maison de taille moyenne. Or, la demande en construction explose et l’environnement est en danger. Alors la question s’impose: peut-on recycler le béton? C’est déjà monnaie courante dans certains pays européens, souligne Lisbeth M. Ottosen, mais plutôt dans le cadre d’une «dévalorisation» du béton, qui se voit utilisé dans la création d’un produit de catégorie inférieure, destiné à des travaux routiers ou du remblayage anti-bruit sur les autoroutes.

Face à l’objectif de l’UE pour 2020, à savoir recycler 70% des déchets de chantier, on peut se demander s’ils seront «dévalorisés» ou au contraire «revalorisés». Selon Detlef Heinz, faire du béton neuf à partir de béton usagé serait une bonne solution, mais quelques difficultés persisteraient. Le béton ne représente qu’une partie des déchets de chantier, et seule une partie de ce béton usagé peut être réutilisée, car il est parfois contaminé. Et le processus de recyclage lui-même produit du CO2.

De plus, les granulats issus du recyclage ne suffisent pas à satisfaire la demande du secteur de la construction. «Chaque année, l’Allemagne récupère sur les chantiers de démolition 80 à 90 millions de tonnes de matériaux minéraux tels que du béton et des briques concassés, indique Detlef Heinz, mais il lui faudrait jusqu’à 500 millions de tonnes de granulats pour produire ses matériaux de construction.»

Des bâtiments en bambou et en chanvre

Lorsque cela est possible, nous devrions privilégier les alternatives au béton. «Il nous faudrait renouer avec des matières renouvelables comme le bois lorsqu’elles peuvent techniquement remplir la même fonction que le béton», anticipe Detlef Heinz. Si les édifices imposants nécessitent souvent du béton pour assurer leur intégrité structurale, l’argument en faveur des matériaux alternatifs ou renouvelables reste intéressant.

De nouvelles méthodes utilisent des ressources renouvelables comme le bois ou le bambou en limitant le béton au strict minimum et à des fins spécifiques (p. ex. la protection anti-incendie). D’autres matériaux alternatifs ont des propriétés similaires comme le pisé ou encore la brique de chanvre (composée de fibre de chanvre et de chaux en guise de liant). En France, des logements sociaux et un immeuble de bureaux de sept étages ont été construits avec de la chaux et du béton.

Selon Petr Hajek, professeur en génie civil à l’école polytechnique de Prague, dans les projets où le béton ne peut pas être entièrement éliminé, il convient de maîtriser des techniques nouvelles: bétons autoplaçants, mélanges à hautes et ultra-hautes performances ou encore, béton armé renforcé de fibres textiles plutôt que d’acier. «Ces technologies permettent de construire avec moins de béton des structures plus subtiles, plus durables, ayant une meilleure performance structurale et un moindre impact environnemental.»

Solutions d’avenir

Il précise que, rien qu’en optimisant la forme des piliers porteurs, on peut réduire considérablement la quantité de béton utilisée. Autre possibilité: des bétons renforcés de fibres tels que le C3 Carbon Concrete Composite développé par l’école polytechnique royale de Dresde pour fabriquer des enveloppes fines résistant à la corrosion. Le béton armé pourrait aussi être remplacé par un matériau composite à base de bambou mis au point par une équipe de l’École polytechnique fédérale de Zurich et permettant de bâtir poutres, dalles de plancher et joints.

Une autre invention futuriste émane de l’Université de Delft aux Pays-Bas: un béton qui se répare lui-même. Cette trouvaille d’Hendrik Jonkers contient une bactérie autoactivante produisant du calcaire, qui répare les fissures et réduit ainsi le besoin en maintenance et en nouveau ciment. Malheureusement, cette solution présente également des inconvénients, en l’occurrence des coûts immédiats plus élevés.

Cette mentalité axée sur le court terme, l’industrie du ciment doit s’en défaire, insiste Karen Scrivener. «Certaines solutions vont s’avérer économiques sur le long terme. Nous devons surmonter les blocages au démarrage et motiver les acteurs à adopter ces nouvelles techniques.» Une chose est sûre: il n’existe pas de solution miracle pour rendre le béton plus durable. «Mais, à chaque étape, de la fabrication du ciment au mélange pour obtenir du béton et à son utilisation sur le chantier, nous pouvons faire des économies en conjuguant les meilleures solutions possibles.»

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 15).