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Les rames de Doris

Pas facile de vouloir démontrer à tout prix, dans la campagne contre «No Billag», que l’abonnement obligatoire à la télévision publique serait consubstantiel à la démocratie.

Les dinosaures ne meurent jamais. «Dinosaures», c’est ainsi que se qualifient eux-mêmes des anciens de la SSR sortant du bois pour donner leur avis sur l’initiative «No Billag».

Petite surprise: ce que disent Guillaume Chenevière, Raymond Vouillamoz, Oswald Sigg et Philippe Mottaz, dans Le Temps, paraît assez loin du discours officiel de votre, de notre, de leur (on ne sait plus) télévision. Loin en tout cas de l’espèce de chantage anxiogène à la survie auquel se livre la SSR, répétant à l’envi que «No Billag» signifierait la fin de l’audiovisuel public et donc, pour ces étatistes énamourés, quasi la fin du monde.

Que suggèrent les dinosaures dans leur vieille sagesse? Que par exemple «il existe une troisième voie entre la disparition de la SSR que visent les initiants et le fait que cette institution reste figée». Que l’inflation de publicité sur les chaînes nationales, «sa collecte massive et souvent secrète de données personnelles, est l’inverse de ce qu’est le service public».

Que le discours de la SSR «est resté inchangé alors que la Suisse traversait des mutations importantes». Qu’enfin «l’enjeu, ce n’est pas l’institution en tant que telle, c’est la démocratie».

Le grand mot est lâché, et les dinosaures rentrent au bercail. Retrouvent l’antienne majeure des adversaires de «No Billag»: la redevance, l’abonnement captif pour l’appeler par sa vraie nature plutôt que par son joli nom, serait la quintessence de la démocratie, le financement obligatoire d’une télévision publique, son alpha et son oméga.

Sauf que l’équation n’est pas toujours facile à défendre. On pourrait par exemple facilement être saisi d’un mauvais doute en se rappelant que jamais l’audiovisuel public n’est aussi omnipotent, omniprésent et seul qu’en dictature, quel qu’en soit le bord. A cette différence, diront les mauvais esprits et les plus affreux libéraux, qu’en dictature le montant de la redevance risquera d’être moindre.

Pas facile non plus, à l’heure du pay-per-view et de la gratuité à la sauce internet, de soutenir qu’il serait encore légitime, au 21ème siècle, d’imposer un abonnement obligatoire à un media, fut-il public.

C’est sans doute l’ampleur de cette tâche, pas loin de s’apparenter à une volonté de démontrer l’indémontrable,  qui explique que Doris Leuthard se lance si tôt en campagne contre «No Billag». Pour cela aussi qu’elle rame si fort, qu’elle souque si ferme, et qu’elle écope avec tant de bravoure.

En faisant d’abord du suivisme: personne en Europe, soutient-elle, ne laisse l’audiovisuel aux seules mains, forcément douteuses, du marché. En clair, ne prenons pas le risque d’être des pionniers.

En agitant ensuite les grands principes: le multiculturalisme délicat de la Suisse et sa valeureuse démocratie directe rendraient le rôle des médias particulièrement crucial. Il serait facile de rétorquer que le droit d’initiative et la coexistence de plusieurs langues nationales n’ont pas attendu la télévision et les radios pour exister.

En prédisant également que la suppression de la redevance ne favoriserait pas les éditeurs suisses qui se plaignent de la captation de la manne publicitaire par la SSR, mais les chaînes étrangères, vers lesquelles les annonceurs se tourneraient alors en masse. Là aussi, plus facile à affirmer qu’à démontrer.

Enfin Doris Leuthard reprend l’entêtant refrain de la SSR: il n’existe pas de plan B à la redevance. Le plan B, dit-elle, «c’est la liquidation». Ce qui révèle au moins deux choses: un criant manque d’imagination et un défaitisme bien paresseux.

Le plan B ne serait-il pas une simple affaire de volonté? Sans la redevance, la SSR certes se verrait réduite à devoir faire comme tout le monde: ne compter que sur elle-même pour survivre. Dire qu’elle n’y parviendra pas, c’est sous-entendre qu’elle serait plus bête qu’une autre.