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De l’art du nom

Chaque médicament possède trois noms. Le premier désigne son nom chimique, utilisé par les chercheurs. Le deuxième indique sa dénomination commune internationale, son nom générique. Le troisième définit sa marque, celle écrite sur l’emballage. Le fabricant la choisit. Mais le nom doit être approuvé par les autorités sanitaires. Les règles sont complexes: pas de confusion possible, ni de fausse promesse.

A Nyon, Denis Ezingeard, dans le domaine du naming depuis une vingtaine d’année, a fondé l’entreprise Ixxéo Healthcare en 2007. Chaque année, entre quatre et huit groupes pharmaceutiques se tournent vers lui pour nommer leur médicament. Le processus est un exercice long et délicat. Entre le début du projet et le lancement du produit, il peut s’écouler jusqu’à trois ans.

La pilule bleue, par exemple. Son nom chimique* n’est compréhensible que par les initiés. Sa dénomination générique est le «citrate de sildénafil». Il est pourtant largement connu par son nom commercial, le Viagra. Il a été trouvé par Arlene Teck, associée à Ixxéo. «Le client voulait un symbole de la puissance masculine pour ce médicament destiné à contrer la dysfonction érectile», explique Denis Ezingeard. Une analogie d’une fonction masculine est faite avec les chutes du Niagara. Le mot ‘vigor’, ‘énergie’ en latin, la virilise. Au ‘Viagara’ présenté en premier, les créatifs de l’entreprise ont décidé de supprimé le deuxième ‘a’. Pour faire plus dur. Moins harmonieux».

Entre 2000 et 4000 noms sont candidats au départ du processus. «Une idée de nom peut créer une dizaine de clones». Environ dix noms feront l’objet d’une étude de marché, et seulement trois ou quatre seront retenus pour le choix final. «Plus que de la création, mon métier consiste à éliminer ceux qui ne passeront pas la rampe, explique Denis Ezingeard. Pour garantir qu’ils résisteront aux autorités sanitaires et leurs règles complexes.»

Un seul nom est proposé à l’administration sanitaire américaine (FDA) et deux à son homologue européenne (EMA). «Leurs approbations respectives marquent la fin d’un projet.» Le directeur d’Ixxéo doit prendre en compte les contraintes juridiques, réglementaires, linguistiques, de nomenclature ou encore de marketing. La tâche est plus compliquée en Europe, avec plus de 24 langues. «Un bon nom de doit pas être plat». C’est en général les consonnes qui sont importantes. «Elles donnent une différence visuelle. Avec un ‘d’, un ‘q’ ou encore un ‘p’, les noms ont de meilleures chances de ‘survivre’». Le naming, «une science et un art».

*citrate de 1-[4-éthoxy-3- (6, 7-dihydro-1-méthyl-7-oxo-3-propyl-1H >-pyrazolo[4, 3-d]pyrimidin-5-yl) (phénylsulfonyl]-4-méthylpipérazine

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Une version de cet article est parue dans In Vivo Magazine (n°13).

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