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Quand l’hôpital fait la sourde oreille

Consultation pour les femmes enceintes malentendantes, recours à des interprètes, sensibilisation des soignants: les hôpitaux suisses commencent à combler leur retard en matière d’accès aux soins des personnes atteintes de surdité.

La scène se passe chez nos voisins français. Dès son arrivée à l’hôpital, le patient est dirigé vers un accueil spécifique. Il est reçu par un médecin qui évalue ses besoins en communication, puis l’oriente. L’équipe est composée de personnel médical qui maîtrise la langue des signes française (LSF), de travailleurs sociaux et d’interprètes. En France, il existe désormais 26 de ces dispositifs bien huilés, appelés «Unités d’accueil et de soins des sourds» et répartis dans tout le pays.

L’Hexagone se trouve en effet à la pointe en matière d’accès aux soins pour les sourds. Une prise de conscience qui date du début des années 1990, lorsqu’il apparaît que le VIH se répand dans la population sourde alors qu’elle est en régression dans la population générale. La première consultation ouvre à Paris en 1996. Elle anticipe 200 patients, mais en reçoit rapidement 2000, révélant l’ampleur des besoins. Parmi les voisins de la Suisse, l’Autriche est aussi souvent citée en exemple pour ses unités dédiées.

On ne trouve à l’heure actuelle rien de tel dans les hôpitaux helvétiques. Les 10’000 personnes atteintes de surdité profonde, selon les estimations de la Fédération suisse des sourds (FSS), sont confrontées à de nombreux obstacles lorsqu’elles doivent se faire soigner. En Suisse romande, il existe un service d’interprètes professionnels, mais ils sont peu nombreux et aucune présence permanente n’est assurée dans les hôpitaux. Pour un patient sourd, se faire accompagner par un proche qui maîtrise la LSF peut par ailleurs poser problème, par exemple s’il est amené à parler de sujets intimes.

Au final, notamment en cas d’urgence, il n’est pas rare que les patients se retrouvent à l’hôpital sans interprète. «Dans une telle situation, une personne sourde aura de grandes difficultés à comprendre ce que dit le médecin et à expliquer de quoi elle souffre, souligne Sandrine Burger, porte-parole de la FSS. Et l’idée que l’on peut simplement communiquer par écrit est fausse: des générations entières de sourds ont été mal formées et éprouvent des difficultés à lire et écrire.» Quant à la lecture sur les lèvres, elle permet une compréhension entre 30% et 60%. En cas de stress et de souffrance, le niveau de compréhension est encore plus bas. La lecture labiale demande par ailleurs un effort de la part du soignant: se placer en face de la personne, être attentif à la lumière,articuler, mimer, montrer, ne pas mâcher de chewing-gum ou porter une moustache…

«Un séjour à l’hôpital génère une grande anxiété pour les personnes sourdes, constate Françoise Esen, sage-femme au CHUV, qui maîtrise la langue des signes et connaît bien la surdité. Il s’agit de patients vulnérables. Sans interprète, pour ne pas gêner, il arrive souvent qu’ils disent ’oui, oui’ alors qu’ils n’ont pas vraiment compris.» Un décalage qui peut avoir un impact important sur la qualité des soins.

En 2011, le CHUV a mis en place une consultation de gynéco-obstétrique pour femmes sourdes et malentendantes, une première en Suisse. Elle est assurée par la gynécologue Martine Jacot-Guillarmod et la sage-femme Françoise Esen.

«L’objectif de la consultation est d’instaurer un climat de confiance, en proposant un accueil en langue des signes dans un même lieu, avec les mêmes personnes», indique Martine Jacot-Guillarmod. Le temps de consultation, deux fois ou trois fois plus long, constitue une autre spécificité. «J’adapte le discours pour qu’il ne soit pas trop académique, je reformule et je vérifie la compréhension du message, détaille Françoise Esen. Il y a toujours un décalage entre ce qui est dit et compris.»

Pour les suivis de grossesse, la sage-femme est présente à tous les rendez-vous, mais aussi lors du travail et de l’accouchement. Elle propose par ailleurs un cours de préparation à la naissance et des visites de la maternité spécifiques. «La population sourde consulte très peu, d’autant plus dans un domaine intime tel que la gynécologie, constate Martine Jacot-Guillarmod. Aujourd’hui, l’enjeu consiste aussi à montrer que nous sommes à disposition, également hors grossesse, pour toute question gynécologique.»

Autre témoin de l’intérêt croissant pour répondre aux besoins spécifiques des patients sourds: le succès des cours de sensibilisation à la langue des signes destinés au personnel soignant. Auteur d’un mémoire sur le sujet, le Genevois Valentin Marti a initié en 2015 le projet Medsigne, qui propose des cours à l’intention des étudiants en médecine. à Lausanne, le projet Breaking the Silence organise régulièrement des formations destinées aussi bien aux étudiants qu’aux professionnels du domaine de la santé.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo Magazine (n°13).

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