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Attention, perturbateurs sur la ligne

Les perturbateurs endocriniens sont aujourd’hui accusés de nombreux maux, même si les preuves restent difficiles à établir.

Omniprésents dans l’environnement sous forme de micropolluants, les perturbateurs endocriniens, ces substances capables d’interférer avec le système hormonal de nombreuses espèces, se retrouvent aussi dans notre chaîne alimentaire. De plus, ils se trouvent en nombre dans nos placards: de l’armoire de la salle de bains au garde-manger, dans les contenants comme dans les contenus.

L’abondante diversité des substances défie la toxicologie et ses protocoles, si bien qu’ils sont difficilement identifiables. État des lieux sur ces substances qui questionnent notre rapport aux produits issus de la chimie de synthèse industrielle.

Une voie de signalisation fragile

Un perturbateur endocrinien est «une substance ou un mélange exogène altérant les fonctions du système endocrinien et induisant de ce fait des effets nocifs sur la santé d’un organisme intact, de ses descendants ou au niveau de sous-populations entières», selon une définition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiée en 2002. Pour bien comprendre le fonctionnement de ces perturbateurs, il faut donc connaître notre système endocrinien.

Nos organes se doivent de bien communiquer pour fonctionner. Pour ce faire, ils disposent de deux grandes voies de transmission: le système nerveux et le système endocrinien. Le second est constitué d’organes – les glandes endocrines – qui sécrètent des hormones dans le sang à destination d’organes distants. Ces glandes comprennent notamment l’hypothalamus, les surrénales, la thyroïde, les ovaires et testicules.

Mais le système endocrinien ne s’arrête pas là: des cellules réparties dans certains de nos organes ont aussi des propriétés endocrines. C’est le cas, entre autres, du pancréas, de l’estomac et du placenta. Pour compliquer le tout, nos deux voies de signalisation sont interconnectées. Les possibilités de perturbation sont donc nombreuses, de même que leurs effets délétères, car toutes nos fonctions vitales dépendent du travail hormonal. Il régule notre développement, notre sexuation, notre comportement ou encore le fonctionnement du système cardiovasculaire et digestif.

La preuve impossible

Pour les scientifiques, l’identification des substances perturbatrices n’est pas aisée, ce qui rend délicate l’interdiction des produits mis en cause. Thierry Buclin, médecin-chef de la Division de pharmacologie clinique du CHUV, indique qu’environ 900 substances sont actuellement répertoriées comme perturbateurs endocriniens.

Les premières ont été repérées à la suite de désastres écologiques. «Leur découverte provient de l’observation du changement de sexes d’amphibiens, d’alligators et de poissons aux États-Unis», précise Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne (UNIL).

À la fin des années 1990, des études ont pu démontrer que ces anomalies étaient dues à des substances ayant une action œstrogénique (l’hormone sexuelle femelle). Elles induisent une féminisation des mâles qui mène à la stérilité. Mais pour la plupart de ces substances, aucun lien de cause à effet n’a pu être démontré chez l’homme. Les autorités concernées ont alors reconnu que le phénomène était potentiellement dangereux et ont fini par trancher pour une interdiction selon le principe de précaution.

Des effets à démontrer

Aujourd’hui, les données épidémiologiques sont plus parlantes: le spermogramme moyen dans la population masculine, une analyse qui renseigne sur la fertilité, est en déclin. «Il a baissé d’un tiers en cinquante ans», indique Thierry Buclin. Ces données ne se limitent pas à la fertilité: les cancers, l’autisme, la puberté précoce, le diabète ou encore l’obésité sont en augmentation.

Pour ces pathologies, des hypothèses mettant en cause des perturbateurs endocriniens existent et les mécanismes correspondants sont largement confirmés en laboratoire. Comme elles restent vierges de démonstrations chez l’homme, les interdictions tardent pourtant à venir.

Pourquoi cette difficulté, alors que «dans pareille situation, face à un faisceau d’arguments indirects, le principe de précaution devrait prévaloir et faire réglementer l’utilisation d’un produit»? Il est difficile de recueillir des preuves incontestables, explique Thierry Buclin, car l’effet des perturbateurs endocriniens devrait être démontré cliniquement, c’est-à-dire par le biais d’essais sur l’homme. Or, il faudrait administrer une molécule potentiellement toxique pendant plusieurs années, ce qui est éthiquement inacceptable.

La toxicologie défiée

«En toxicologie classique, c’est la dose qui fait le poison», précise Thierry Buclin. Un composé actif, comme un perturbateur endocrinien, se lie à son récepteur cible selon une relation dose-réponse, ce qui signifie qu’il faut atteindre une certaine concentration pour obtenir un effet décelable.

Nathalie Chèvre mentionne que nous avons affaire à des doses infinitésimales de millions de substances, celles connues, mais aussi leurs produits de dégradation. Pris séparément, les composés ne sont jamais assez abondants pour être toxiques. «Mais c’est sans compter que sur des millions de substances, il y en a forcément plusieurs qui vont agir sur la même cible.» L’experte ajoute qu’en additionnant simplement leurs concentrations, le risque d’atteindre des doses biologiquement actives existe. C’est l’effet cocktail.

Alors, comment aborder la question des mélanges? De nouvelles techniques d’analyse semblent prometteuses, comme celle de la société française WatchFrog. Plutôt que de chercher à mettre le doigt sur la toxicité d’une substance donnée, la société a développé un système utilisant des larves de batraciens pour déterminer si une solution a le pouvoir de modifier le système hormonal.

«Notre procédé utilise le système endocrinien des larves comme senseur, ces dernières portent un marqueur génétique qui révèle une perturbation par une émission de fluorescence», précise Gregory Lemkine, directeur de WatchFrog. Le procédé est actuellement testé par le Service des eaux de Lausanne.

Non à la substitution, oui au pragmatisme

Lorsqu’une substance est reconnue comme nocive, elle est substituée dans les procédés de fabrication industriels. Ce fut le cas des biphényles chlorés (PCB), utilisés comme isolants électriques: lorsque leurs effets néfastes pour la reproduction ont été découverts, ils ont été remplacés par les polybromodiphényléthers (PBDE), qui se sont avérés tout aussi nocifs et qui ont été substitués par des organophosphates, à leur tour reconnus pour leurs effets délétères sur le développement neuronal.

Nathalie Chèvre s’indigne: «La substitution n’a aucun rôle à jouer dans la lutte contre les perturbateurs.»

Un enjeu sanitaire

Du point de vue de la santé publique, il est bien difficile de dire si les observations actuelles ne sont que la pointe d’un iceberg redoutable ou si leur portée est destinée à rester limitée. En l’absence de consensus et de preuves formelles sur ces substances, Thierry Buclin suggère que la manière d’avancer la plus pragmatique est de s’attaquer d’abord aux sources les plus significatives de polluants.

Alors, avant que nos réseaux de communication interne soient totalement perturbés, nos organes de communication externe peuvent être utilisés pour informer: le risque actuel provient des substances que nous ingérons, respirons ou appliquons sur notre peau.

Comme les perturbateurs agissent sur le long terme, les populations les plus à risque sont les femmes enceintes, les fœtus et les enfants, qui devraient éviter les principales sources de toxines que sont les plastiques, les insecticides, les vernis et les laques à bois, les médicaments de confort, et particulièrement les cosmétiques.

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PRODUITS CONTENANT LE PLUS DE PERTURBATEURS ENDOCRINIENS

Les plastiques
Les plastiques contiennent plusieurs additifs répertoriés comme perturbateurs endocriniens. Les phtalates sont ajoutés au polychlorure de vinyle (PVC) pour augmenter la souplesse des objets. Les alkyphénols comme le Bisphénol A les rendent transparents. Ils contiennent également des retardateurs de flamme: PCB, PPDE et organophosphates. La plupart de ces composés sont délétères pour la reproduction humaine, cancérigènes et peuvent causer des troubles du comportement. Ils ne se lient pas aux polymères des plastiques et se détachent au simple contact. Biberon, jouets, tuyaux, emballages, bouteilles en PET en contiennent.

Les pesticides
Suivant la mise à jour de la définition européenne sur les perturbateurs endocriniens, les insecticides sont désormais pointés du doigt. Le glyphosate, présent dans l’herbicide Roundup de la société Monsanto, serait cancérigène. Les pyréthrinoïdes, qui représentent 30% des insecticides dans le monde, induiraient une puberté précoce. De plus, l’État français vient de publier une liste d’environ 1’500 produits susceptibles de contenir des perturbateurs endocriniens.

Les cosmétiques
Notre salle de bains recèle 400 à 500 substances chimiques. Les cosmétiques en font partie et contiennent un joli cocktail de perturbateurs reconnus. Par exemple, les parabènes possèdent des propriétés antibactérienne et antimycosique: ils sont utilisés comme conservateurs dans les shampoings, crèmes, mousses et dentifrices. Ils sont reconnus pour provoquer une baisse de la fertilité masculine et favoriser la croissance de certaines tumeurs. Les filtres UV présents dans les crèmes ou les baumes sont également dangereux pour la reproduction humaine. Les phtalates (voir plastiques) sont omniprésents dans les parfums.

Les médicaments
Les principes actifs de certains médicaments ont évidemment été créés dans le but de perturber le système hormonal à des fins thérapeutiques. C’est notamment le cas de la pilule contraceptive et de son composant principal, l’ethinyl-estradiol. Son action est dix fois plus puissante que les œstrogènes féminins et il se dégrade plus lentement. Il s’accumule donc dans l’environnement jusqu’à finir dans nos assiettes. La plupart des médicaments contiennent également des parabènes pour leur conservation.

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«FAIRE PEUR NE SERT A RIEN»

Pour Nathalie Chèvre, écotoxicologue à l’Université de Lausanne, on doit mieux expliquer les enjeux liés à une exposition répétée à des substances problématiques.

Où en est la législation concernant les perturbateurs endocriniens?

Il existe un réel enjeu de définition, pour l’industrie comme pour la protection des citoyens. L’Europe a accepté le 4 juillet dernier une définition qui ne concerne que les substances chimiques identifiées comme perturbateurs endocriniens. Le texte indique qu’un lien de causalité évident chez l’homme doit exister pour pouvoir parler de perturbateurs endocriniens. Les ONG décrient cette définition, car ce lien est infaisable pour la plupart des substances. Il faudrait y inscrire la notion de perturbateur potentiel pour augmenter son efficacité.

Quels sont les plus gros pollueurs?

L’être humain, dans sa vie de tous les jours, est le plus grand pollueur des eaux, pas l’agriculture. Par exemple, sur le plan des médicaments présents dans le lac Léman, le plus important actuellement connu est la metformine, un antidiabétique issu de la consommation humaine. Après le marathon de Lausanne, un pic d’anti-inflammatoires est clairement mesurable dans les eaux de la station d’épuration.

Comment sensibiliser la population?

C’est un problème épineux. Il faut rendre les gens critiques, mais leur faire peur ne sert à rien! La peur rend paranoïaque ou fataliste et dans les deux cas les gens ne font rien de concret. Le grand public n’a pas de notion de dose, c’est certainement là que nous pouvons les informer. C’est la répétition des expositions et l’addition des substances qui jouent un rôle critique. Il faut donc se méfier des gestes répétitifs: mieux vaut éviter le soleil que de se tartiner tout l’été avec de la crème solaire.

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Une version de cet article est parue dans In Vivo Magazine (n°13).

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