CULTURE

Le triomphe ambigu d’une emmerdeuse et d’un gladiateur

Deux films glorifiant le combat solitaire ont été récompensés dimanche soir à Hollywood. C’est pourtant à une lutte collective que se préparent les professionnels du spectacle. Analyse d’un palmarès.

Il faut se battre pour faire entendre ses droits. Ne jamais hésiter à casser les pieds des puissants. Brandir le poing, montrer les dents et médiatiser à fond sa lutte personnelle. Les affrontements publics font les meilleures histoires.

Au delà de leurs divergences, notamment de style vestimentaire, «Erin Brockovich» et «Gladiateur» se rejoignent dans une même glorification du combat contre l’ordre établi. Ce n’est sans doute pas un hasard si ces deux films ont été récompensés dimanche soir au Shrine Auditorium de Los Angeles lors de la 73e cérémonie des Oscars. A Hollywood, le premier printemps du siècle sera celui de la lutte syndicale.

En interprétant cette splendide emmerdeuse d’Erin Brockovich, Julia Roberts a finalement obtenu l’Oscar qu’elle méritait. Tout comme Russell Crowe, qui a largement contribué au succès planétaire de «Gladiateur», par ailleurs élu meilleur film de l’année.

En distribuant leurs prix, les 5722 membres de l’Académie ont, comme chaque année, défini les tendances masculine et féminine du moment. Cette saison, l’homme porte une jupette mais il est tellement costaud qu’il parvient (tout seul) à terrasser un empereur et donc un empire. La femme de l’année s’habille en denim usé mais fait preuve d’une telle détermination qu’elle réussit (toute seule) à défendre les pauvres, déstabiliser une grande compagnie et obtenir une promotion personnelle.

Les combats solitaires font recette. C’est pourtant à une série de luttes collectives que se préparent les petits soldats du cinéma. Depuis quelques mois, les professionnels affrontent les studios et les chaînes de télévision sur la question des droits liés aux nouvelles techniques de diffusion (DVD, internet, satellite). Ils réclament leur part de ce nouveau gâteau en rappelant qu’avant la technologie et le marketing, c’est toujours l’élément humain qui fait le bon spectacle.

Si les conventions collectives des scénaristes et des acteurs ne sont pas renouvelées le 1er mai et le 30 juin, les grèves paralyseront la machine hollywoodienne et les tournages seront interrompus pendant plusieurs semaines. On attend encore le cinéaste qui saura raconter ces affrontements syndicaux comme Robert Altman avait su le faire avec «The Player» au début des années 90. Peut-être Steven Soderbergh?

Dimanche soir, «l’autre Steven S.», comme on le surnomme, avait deux fois plus de chances que ses concurrents d’obtenir l’Oscar du meilleur réalisateur puisque deux de ses films («Erin Brockovich» et «Traffic», inspirés tous les deux d’événements réels) étaient sélectionnés dans cette catégorie. Il l’a reçu pour «Traffic», qui raconte la lutte – collective – des agents mexicains et américains contre les cartels de la drogue. Le film a également obtenu le prix du meilleur scénario adapté (Stephen Gaghan), du meilleur montage (Stephen Mirrione) et du meilleur second rôle masculin (Benicio Del Toro). Une réussite d’équipe.

Autre bonne nouvelle: les prix attribués à «Wo Hu Zang Long», le film du Taïwanais Ang Lee mieux connu sous le titre de «Tigre et Dragon». Il a reçu les Oscars de la meilleure direction artistique, de la meilleure musique, de la meilleure photo et du meilleur film en langue étrangère – une caractéristique qui ne l’avait pas empêché de concourir dans la catégorie de meilleur film tout court.

Preuves supplémentaires que Hollywood est presque complètement mondialisé, une actrice française (Juliette Binoche), deux acteurs hispanophones (Javier Bardem, Benicio Del Toro) et un réalisateur suédois (Lasse Halstrom) avaient été sélectionnés cette année.

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