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Les grandes entreprises friandes de fonds publics

Un quart des fonds européens dédiés à la recherche va aux entreprises. Alors que l’Union européenne met en place le successeur du programme Horizon 2020, une question se pose: est-ce vraiment justifié?

80 milliards d’euros sur sept ans. Destiné à favoriser l’excellence scientifique au sein de l’Union européenne, le programme is cialis less expensive than viagra (H2020) a été conçu pour canaliser les investissements vers les technologies industrielles jugées essentielles à la compétitivité de l’économie européenne. Bilan des courses: plus d’un quart de la manne financière européenne a fini dans les poches des entreprises ces trois dernières années. Sont-elles les mieux placées pour transformer la recherche et l’innovation en solutions concrètes? Faut-il repenser l’affectation des fonds européens?

Pour Jan van den Biesen, ancien de chez Philips et aujourd’hui dirigeant du cabinet de conseil néerlandais Europolaris, l’Union européenne doit non seulement continuer de financer les grandes firmes, mais elle doit aller encore plus loin. Il estime que seules les grandes entreprises sont en mesure de donner corps aux avancées de la recherche. «Un peu plus d’un quart des financements européens a été attribué aux entreprises de 2014 à 2016, 12% seulement si l’on se cantonne aux grands groupes. Or, les acteurs privés ont assumé près de la moitié des dépenses de R&D en Europe en 2014 et 2015.» Pour l’expert, l’UE ne peut tout simplement pas ignorer le rôle central des grands groupes: «Ils jouent un rôle central dans l’émergence d’écosystèmes innovants et entraînent dans leur sillage de nombreuses sociétés plus petites.» Et seraient donc les seuls à disposer de l’expertise et de la masse critique nécessaires pour assurer l’exploitation, la normalisation et l’adoption de nouveaux biens ou de nouveaux services.

Mais allouer des sommes aussi importantes à des grands groupes ne fait-il pas courir un risque à la recherche européenne, en privilégiant potentiellement les intérêts privés au détriment de l’intérêt public? Du point de vue du numéro un mondial de l’éclairage Philips Lighting, ce n’est pas le cas. L’entreprise est engagée dans plusieurs projets de recherche cofinancés par différents dispositifs européens: «Les fonds européens contribuent de manière significative à nos investissements de R&D. Certains programmes n’auraient pas vu le jour sans cette collaboration européenne», explique Paul Merkus de Philips Lighting Research. Tout en rappelant que les industriels assument eux-mêmes une part du coût de ces projets: «Certains peuvent être financés à 70% ou 100% par H2020, mais ces fonds couvrent uniquement les coûts directs. Ils sont un investissement partagé entre l’UE et l’industrie.»

Cercle vertueux

D’autant que l’effort communautaire ne va pas sans garde-fous, précise l’industriel: «L’accord de subvention comprend un document validé par le responsable du projet au niveau européen qui décrit très précisément les livrables attendus.» Au-delà, les rapports techniques et financiers permettent de veiller à la pertinence de l’affectation des fonds communautaires. «Une fois par an, les résultats obtenus sont exposés au représentant de l’UE concerné, ainsi qu’à deux experts indépendants. Enfin, Philips Lighting diffuse les résultats de ses recherches dans des conférences et des magazines professionnels pour informer et orienter l’industrie de l’éclairage.» De quoi garder le contact sur le plan international: «Sans l’impulsion de l’UE, l’Europe et ses industries risqueraient de prendre du retard sur l’Asie et les États-Unis dont les marchés intérieurs sont plus larges et les approches mieux orchestrées», conclut Paul Merkus.

Du côté de la Novo Nordisk Foundation, une fondation danoise, le choix est radicalement inverse. Entièrement ou partiellement propriétaire de plus de 80 entreprises privées dont le laboratoire pharmaceutique Novo Nordisk A/S, premier contributeur privé du Danemark, la fondation a versé l’an passé 546 millions d’euros à des universités et des hôpitaux publics, pour l’essentiel dans le domaine de la médecine et des biotechnologies – traitement du diabète, du cancer, de maladies infectieuses – sans se soucier d’un retour sur investissement, puisque les résultats obtenus restent la propriété des chercheurs et de leurs institutions. Pourquoi ne pas réinvestir de telles sommes dans ses propres sociétés? «Nous menons régulièrement des analyses destinées à évaluer l’impact de nos subventions sur la société dans son ensemble, explique Christian Mostrup Scheel, porte-parole de la fondation. En 2016, l’une de nos conclusions était qu’à l’échelle de la société tout entière, l’investissement dans la recherche publique a un impact socio-économique positif et contribue à créer des emplois.»

Rester dans la course

Au sein de la Danmarks Tekniske Universitet (DTU), on plaide pour la complémentarité. «En matière de recherche, les fonds européens représentent 12 à 13% de nos financements extérieurs. Au-delà de leurs travaux proprement dits, ces subventions nous permettent de favoriser la mobilité de nos chercheurs», pointe sa vice-présidente Katrine Krogh Andersen. Programmes d’échanges post-doctorats, réseaux internationaux de formation, bourses individuelles destinées aux jeunes chercheurs – pour DTU comme pour d’autres, le soutien européen est essentiel. Pour autant, pas question de remettre en cause l’affectation d’une partie des fonds communautaires à des acteurs privés. Au contraire: «La collaboration avec les entreprises est d’autant plus importante que l’Europe est en retard sur ses principaux concurrents en termes d’investissement industriel dans la R&D. Néanmoins, il est probablement judicieux de faire la différence entre les grandes entreprises bien établies et les PME.»

Un argument qui ne convainc pas Jan van den Biesen pour qui les grandes entreprises sont loin de cannibaliser les fonds européens. «Aujourd’hui, environ 11% des structures qui sollicitent une subvention européenne obtiennent gain de cause. Étant donné que les grands groupes perçoivent moins de 12% du total alloué, la suppression totale de leurs financements n’augmenterait le taux de réussite moyen des autres candidats que de 2%. Ce serait un gain d’autant plus négligeable que les grandes entreprises pourraient être moins enclines à s’impliquer dans les projets de recherche du futur programme-cadre.»

Reste que pour bien des chercheurs, ces débats sont presque secondaires, à en croire Matthias Reiter-Pázmándy. Dans une récente étude pour l’institut autrichien Era Portal, cet expert scientifique auprès du Ministère autrichien de la recherche évoque des craintes récurrentes dans le champ des sciences humaines et sociales. Pour beaucoup, l’orientation déjà très industrielle de la recherche européenne pourrait faire passer les projets de recherche relatifs aux domaines de la société, de l’économie, de la géopolitique ou de la culture au second plan dans le prochain programme-cadre FP9.

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Champions européens de la R&D

Dépenses en % du PIB

  1. Finlande      3,2%
  2. Autriche      3,1%
  3. Suède         3,1%
  4. Danemark  3%
  5. Allemagne  2,9%

EU-28: 2,03%

Sources: Unesco (2014), Eurostat (2015)

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«Concentrer les financements sur des idées nouvelles»

Le premier vice-président de la Technische Universität München plaide pour un soutien «bottom-up».

Le financement public de recherches menées par des entreprises est-il légitime? Oui, répond Thomas Hofmann, premier vice-président de la Technische Universität München (TUM), mais à une condition: s’assurer que les fonds européens financeront bien à l’avenir les idées les plus innovantes.

Que pensez-vous du programme Horizon 2020?

Le programme-cadre de recherche européen est unique au monde: aucun autre système équivalent n’a jamais été développé. Néanmoins, je pense qu’il faut simplifier sa structure de financement et améliorer le système d’évaluation. En effet, la qualité d’un programme de recherche est indissociable de son évaluation. Nous devons nous concentrer sur les nouvelles idées et veiller à ce que la recherche européenne engendre des innovations à la hauteur de son excellence. Pour ce faire, il est impératif que le budget européen consacré à la recherche et à l’innovation se maintienne au moins à son niveau actuel.

Comment voyez-vous la collaboration entre les universités et les entreprises privées?

TUM collabore étroitement avec des partenaires industriels, ce qui rend nos démarches respectives complémentaires. Au-delà, nous nous considérons comme une université entrepreneuriale: nous encourageons nos propres chercheurs à créer leurs entreprises, au gré de travaux soutenus dans la durée par l’UE. Nous exploitons ainsi le potentiel du financement européen en favorisant une durabilité à long terme. Afin d’exploiter au mieux le H2020 et le futur FP9, il serait souhaitable de concentrer les financements sur des idées entièrement nouvelles plutôt que de se limiter à l’amélioration progressive de technologies existantes, donc de faciliter la participation des petites entreprises et des start-up.

Qu’attendez-vous du futur programme FP9?

Le rapport prospectif de la Commission européenne décrit deux voies d’avenir possibles pour l’UE, l’une plus optimiste que l’autre. Dans cette perspective, le futur serait pacifique, économiquement sûr et durable. Pour y parvenir, la recherche et l’innovation sont deux facteurs essentiels. Nous pouvons rendre possible l’impossible, à condition de continuer d’accorder une place essentielle à la recherche et à l’innovation. Le futur programme-cadre devrait offrir au milieu de la recherche une approche plus «bottom-up», moins opposée à la prise de risque.

Comment assurer son succès?

Le programme repose déjà sur une approche ascendante, notamment grâce au financement du Conseil européen de la recherche et des bourses Marie Sklodowska-Curie. Ces ressources, très utilisées par les chercheurs, répondent à leur besoin le plus élémentaire: développer librement des idées pour résoudre les problèmes majeurs du XXIe siècle. En outre, une approche plus axée sur les grands objectifs et un accès illimité aux dernières solutions scientifiques devraient permettre aux chercheurs de prioriser leur activité comme bon leur semble.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 14).