KAPITAL

La revanche de la French Tech

La scène française des start-ups est en effervescence. L’élection d’un nouveau président technophile et l’inauguration de l’incubateur géant Station F la comble de la visibilité qui lui faisait défaut.

Les baby-foots sont là. Les jeunes gens vissés à leur laptop ou en grand conciliabule dans des poufs colorés aussi. Pas de doute, nous sommes bien dans un incubateur de start-ups. Mais un incubateur aux dimensions de cathédrale… Installée dans une ancienne gare au centre de Paris, 310 mètres de long pour 34’000 m2 de surface, soit près de sept terrains de football, Station F a été inaugurée fin juin et peut accueillir un millier de start-ups. Le projet initié par le magnat de la télécommunication et des médias Xavier Niel, qui a fourni l’intégralité des 250 millions d’euros nécessaires à sa réalisation, fait grand bruit. Jusqu’au New York Times qui a couvert son ouverture pour le plus grand plaisir de la responsable médias Rachel Vanier.

Station F ne se distingue pas uniquement par sa taille. Pour mettre en place la structure la plus pertinente, «nous avons sondé des centaines de start-ups afin d’identifier leurs besoins», raconte la directrice Roxanne Varza. Le «campus» regroupe une multitude d’acteurs sous le même toit: 20 programmes d’accompagnement gérés par des partenaires de différentes industries (data, intelligence artificielle, gaming, IoT, fintech, healthtech, cybersécurité…), trois grands fonds d’investissements internationaux, un «techlab» dans lequel les jeunes pousses peuvent réaliser des prototypes et des guichets de l’administration où elles ont la possibilité d’effectuer leurs démarches. Des cafés et restaurants, mais aussi des logements – trois tours d’habitation en coliving à Ivry – viendront bientôt compléter l’offre.

L’enthousiasme suscité par Station F est venu s’ajouter à celui déjà provoqué par l’élection d’Emmanuel Macron. Le nouveau président a déclaré qu’il voulait faire de son pays une «nation de start-ups». Lors de  l’inauguration de Station F, à laquelle il a bien sûr participé, il a tenu un discours «obamanien» à souhait dans lequel il a comparé son élection au lancement d’une entreprise.

Alignement des astres

Roxanne Varza parle d’«effet Macron». «Il insuffle une nouvelle énergie dans l’écosystème local. Son message pro-business et technophile est entendu dans le milieu des entrepreneurs. Le Brexit, l’élection de Donald Trump ou encore les prix hallucinants de la Silicon Valley poussent également les jeunes entrepreneurs à s’intéresser à la France. Beaucoup de start-ups qui ont postulé chez Station F ont fait part de ces éléments pour expliquer leur démarche. Le plus grand nombre de candidatures nous est d’ailleurs parvenu des Etats-Unis et du Royaume-Uni.»

Jean-François Caillard, directeur des opérations de l’accélérateur NUMA, évoque un «alignement des astres». «La France, qui passait pour un pays sclérosé, miné par les taxes, pas très innovant, renvoie soudain une image positive et agréable.» Assiste-t-on à un sursaut de l’ambition technologique française? La perception internationale se trouvait plutôt en décalage avec la réalité ces dernières années. De fait, la France n’a pas attendu l’arrivée d’Emmanuel Macron pour enchaîner les success stories. On pense à la plateforme de covoiturage Blablacar, au spécialiste de l’Internet des objets Sigfox ou encore au site de revente d’articles de mode Vestiaire Collective, pour ne citer que quelques-uns des exemples les plus emblématiques.

Pépites et capitaux

Les levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d’euros se sont également accélérées. Le fabricant d’enceintes haut de gamme Devialet, dont la technologie repose sur l’hybridation du digital et de l’analogique, a par exemple réalisé un tour de table de 100 millions d’euros fin 2016. Il est parvenu à attirer des grands groupes comme Renault et Foxconn, des fonds d’investissement,, mais aussi le rappeur et homme d’affaires américain Jay-Z. Grâce à  cet afflux de capitaux, l’entreprise qui a commercialisé ses premiers produits il y a quatre ans et totalise 108 brevets prévoit de se lancer sur de nouveaux marchés, comme l’automobile et  la télévision.

Parmi les projets qui se démarquent et aiguisent  les appétits internationaux, on peut également mentionner l’application Zenly, qui permet en tout temps de savoir où se trouvent ses amis. Cette «nouvelle pépite de la French Tech» suscite l’admiration et connaît une trajectoire fulgurante. Depuis le lancement de son produit mi-2016, la start-up a levé plus de 30 millions de dollars, notamment auprès d’acteurs influents de la Silicon Valley. Ce qui fait sa différence? Une géolocalisation très fine et peu gourmande en batterie. En juin 2017, Zenly a été rachetée par Snap, la maison mère du réseau social Snapchat, pour un montant estimé entre 200 et 250 millions  de dollars.

Pas du jour au lendemain

«L’univers français des start-ups a énormément évolué au cours des cinq dernières années. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain», souligne Jean-François Caillard, de l’accélérateur NUMA. Parmi les principaux facteurs de cette métamorphose, le spécialiste cite les importants montants injectés dans l’écosystème par la banque publique d’investissement Bpifrance. L’organisme étatique a investi 191 millions d’euros dans 54 start-ups en 2016, soit 13% de plus qu’en 2015. En 2017, la somme devrait atteindre 218 millions d’euros. La mise en place d’un label French Tech par le gouvernement en 2013 a aussi contribué à la dynamique positive. En parallèle, les incubateurs et accélérateurs se sont multipliés dans tout le pays et se sont professionnalisés.

Quant à l’état d’esprit de la nouvelle génération, il joue également un rôle décisif: lancer une start-up est désormais une option envisagée par un jeune diplômé sur deux et les créateurs d’entreprises ne cachent plus leurs ambitions. «Il manquait à l’écosystème français le coup de communication nécessaire pour rayonner, analyse Jean-François Caillard. Et ça, Emmanuel Macron le fait très bien.»

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Championne d’Europe

Signe de la bonne santé et du dynamisme français, le pays était le plus représenté dans le classement Fast 500 européen de Deloitte en 2016. 94 start-ups françaises – contre 70 britanniques et 23 allemandes – ont trouvé leur chemin dans le classement du cabinet d’audit qui récompense les entreprises à la plus forte croissance. Dans sa globalité, l’écosystème des start-ups françaises a suivi une forte croissance de 1300% entre 2012 et 2016.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 14).