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Barcelone: Costa del sport

Vingt-cinq ans après avoir accueilli les Jeux olympiques, la capitale catalane s’est muée en hub technologique grâce à son extraordinaire tissu de start-ups. La pépinière de l’innovation du FC Barcelone en est la vitrine internationale.

21 septembre 2016. Le Barça mène 1-0 face à l’Atletico Madrid au Camp Nou. Le championnat espagnol de football n’a commencé que depuis quelques semaines mais, pour la presse, c’est déjà un match décisif. 59e minute: après un sprint pour récupérer le ballon, Lionel Messi se tient l’adducteur droit. Sur le banc du FC Barcelone, c’est la panique, la moitié de la Catalogne retient son souffle. Le génial attaquant argentin doit quitter le terrain. Les événements s’enchaînent. Le joueur colchonero Angel Correa, qui vient d’entrer, égalise sur l’action suivante. Les 3 points de la victoire s’envolent. Ceux-là mêmes qui manqueront au Barça, en fin de saison, dans sa course contre son éternel rival le Real Madrid.

À ce niveau de compétition, le succès dépend de petits détails. Et c’est pour soigner ces détails que le club catalan a lancé le 22 mars le Barça Innovation Hub (BIHub). Premier-né de cet incubateur: la start-up SM Genomics ambitionne de prévenir les blessures des footballeurs. Ces derniers mois, le staff médical du Barça a élaboré la cartographie génétique de chacun des 22 joueurs de la première équipe afin d’établir leurs besoins nutritionnels individuels ou préparer des entraînements sur mesure et des séances de repos personnalisées. Le projet, qui associe des chercheurs de l’Université de Barcelone, est né d’une initiative du Dr Ricard Pruna, médecin de la première équipe du Barça qui avait consacré sa thèse à cette thématique.

Recruter des start-ups

Des projets comme celui-ci, le club catalan espère en lancer d’autres. Il a, pour ce faire, loué les services du «chasseur de projet» Juan Alvarez de Lara, directeur de l’agence Seed&Click, spécialisée dans le secteur «tech». Son job? Aider le club à identifier et recruter des start-ups prometteuses. «Comme toutes les multinationales, le Barça s’est rendu compte qu’il devait externaliser une partie de son secteur Recherche & Développement pour être plus agile et innovant dans un monde qui bouge vite», explique l’entrepreneur catalan.

Les projets novateurs du BIHub ont aussi pour avantage de pouvoir être valorisés commercialement. Des clubs d’élite tels que Manchester United et le FC Séville, mais aussi des formations de deuxième et troisième division ont déjà loué les services de SM Genomics. Mais, pour 260 à 355 euros, les sportifs amateurs peuvent également faire établir leur profil génétique par cette spin-off. «La stratégie c’est de créer de la valeur à travers ces start-ups, résume Juan Alvarez de Lara. On résume souvent le Barça à la première équipe de football, mais ça va bien au-delà. C’est aussi un club de basket, une fondation (le Barça a créé une fondation destinée à promouvoir les «valeurs ‹positives› du sport et à servir de vitrine à la Catalogne).»

Augmenter le chiffre d’affaires

Pour le FC Barcelone, l’argument est autant économique que sportif. «Nous sommes obligés de gagner et de viser l’excellence en permanence», expliquait dans les colonnes du quotidien suisse Le Temps le Dr Jordi Monés, directeur du BIHub. «Ce qui veut dire que nos joueurs doivent être extrêmement performants, se blesser le moins possible, […] continuer à concurrencer la Premier League (le championnat de football anglais) et sa manne financière, mais aussi que nous trouvions comment faire des bénéfices toujours plus importants sans augmenter les abonnements des socios.»

En Catalogne, le FC Barcelone profite des services d’un réseau très dense de PME et start-ups actives dans le sport. L’association Indescat – qui regroupe les acteurs de l’industrie du sport (lire ci-contre) – recense plus de 500 entreprises sur tout le territoire catalan. Ensemble, elles génèrent 4 milliards d’euros par an, soit 2,1% du produit intérieur brut catalan. Quelque 70% de l’activité économique espagnole en lien avec le sport se concentre à Barcelone, selon l’Indescat. Son directeur, Alex Rivera Molins, y voit l’héritage des Jeux olympiques de 1992: «Entre les trois clubs de football d’élite, les compétitions de Formule 1, le basketball, la voile ou les ultratrails, c’est la moitié de la région qui se mobilise chaque week-end. Quand une entreprise veut s’installer en Espagne, elle pense tout de suite à Barcelone. Ce n’est pas un fantasme: on peut convertir Barcelone en Silicon Valley du sport.»

Spécialistes des gazons ou des nanotechnologies

Parmi les success stories catalanes: le spécialiste du gazon et des revêtements synthétiques Royal Verd, basé dans la province de Gérone (nord-est de la Catalogne). Après avoir débuté comme commerçant de produits agricoles dans les années 1950, le groupe s’est diversifié et a notamment investi dans les sols sportifs professionnels. Avec succès. Lors de la Coupe du monde 2014 au Brésil, c’est Royal Verd qui a obtenu le contrat d’installation et d’entretien de la capricieuse pelouse de Manaus et de six autres stades de la compétition. C’est également Royal Verd qui gère, grâce à un système de senseurs, la pelouse du Camp Nou et de 16 autres clubs d’élite espagnole.

First Vision évolue dans un tout autre registre, mais tout aussi proche du terrain. Basée à l’Hospitalet de Llobregat (province de Barcelone), cette start-up, fondée en 2014, insère dans les fibres de maillots de sport des mini-caméras, des accéléromètres et des pulsomètres. Plusieurs tests ont été effectués lors de rencontres de rugby, hockey ou basketball. First Vision a pour objectif de faire vivre à des spectateurs des émotions qui se rapprochent de celles des joueurs en diffusant des compétitions sportives sur des casques de réalité virtuelle. La start-up a employé son système le 21 mai 2017 lors d’une chaude rencontre de Final Four (basketball) entre les Turcs de Fenerbahçe et les Grecs d’Olympiakos.

Le marché est encore balbutiant, mais First Vision espère pouvoir séduire les sponsors et le public grâce à cette nouvelle manière de regarder les grandes compétitions sportives. La start-up, qui compte le milieu de terrain du FC Barcelone Andrés Iniesta parmi ses premiers investisseurs, espère lever 2,5 millions d’euros grâce au financement participatif. Améliorer l’expérience du spectateur en la rendant plus immersive, c’est également l’un des objectifs poursuivis par le Barça Innovation Hub qui se positionne en «expert des émotions». Ses équipes planchent actuellement sur quelque 70 projets novateurs portant sur l’amélioration des performances sportives, la médecine ou les nouvelles technologies. Une fois rénové, le Camp Nou pourrait devenir l’un des premiers «stades intelligents» offrant la possibilité de suivre des rencontres grâce à un casque de réalité virtuelle. Avec la promesse de rapprocher le football professionnel de la communauté de fans.

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Des missions commerciales pour le sport

Créée en 2010, l’association privée Indescat regroupe les différents acteurs de l’industrie catalane du sport. Qu’ils soient actifs dans l’organisation d’événements, la construction d’installations sportives ou la production de biens et services consommés par les sportifs. «La Catalogne est une région privilégiée pour le sport, soutient Alex Rivera Molins, directeur de l’Indescat. On trouve pas moins de quatre masters différents sur la gestion d’entités sportives.» L’association a également mis en place plusieurs formations destinées aux entrepreneurs: technologies du sport, vente au détail ou efficience énergétique des installations sportives.

L’Indescat, qui collabore avec 22 autres clusters catalans, coordonne par ailleurs une mission commerciale aux états-Unis qui réunira en septembre plusieurs associations sportives française, néerlandaise ou belge sous la bannière de la EU 4 Sports Cluster Alliance (cofinancée par la Commission européenne). Mission: développer de nouvelles chaînes de valeur et exploiter les opportunités pour les PME hors d’Europe. En février, une mission commerciale d’Indescat a emmené 17 entreprises et associations à Beijing et organisé 130 rencontres bilatérales. Pour l’industrie sportive catalane, la nouvelle frontière se situe au-delà de l’Europe.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 14).