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Apprendre après les robots

Le revenu universel permettra d’atténuer les effets pervers de l’automatisation. Mais il sera plus efficace assorti d’un apprentissage.

Au moment où nous terminions le dossier de Technologist sur les enjeux de la robotisation, Mark Zuckerberg créait la surprise dans les médias en se prononçant sur un sujet délicat. «Nous devons explorer des idées comme le revenu universel afin de donner à chacun une sécurité permettant d’essayer de nouvelles choses», a-t-il lâché dans son discours aux diplômés de Harvard.

Que le fondateur de Facebook, 33 ans et 64 milliards de fortune personnelle, affiche une telle profession de foi devrait faire réfléchir ceux qui associent encore le revenu de base à une utopie de gauchistes. Son entreprise n’a pas seulement connecté près de 2 milliards d’humains à ce jour. L’an dernier, elle a généré un bénéfice de près de 15 milliards de dollars avec seulement 17’000 emplois à plein temps; l’homme est bien placé pour mesurer la productivité spectaculaire des tâches automatisées.

Les machines apprennent si vite que cela en devient inquiétant. En traitant des bases de données qui augmentent de jour en jour, elles affinent constamment leurs compétences, ce qui leur permet déjà de rivaliser avec les meilleurs radiologues par exemple. A la différence des humains, elles travaillent 24 heures sur 24 et réagissent à la milliseconde. Des traders américains ont d’ailleurs entamé des procédures en justice contre les algorithmes en les accusant de concurrence déloyale…

L’automatisation ne menace pas seulement les emplois en col blanc. Les chauffeurs de poids lourds voient arriver les premiers camions autonomes tandis que les ouvriers d’usine assistent à la robotisation progressive de leur outil de travail. Si l’on en croit les experts, ce ne sont pas des millions, mais des dizaines de millions d’emplois qui sont menacés à l’échelle mondiale par les robots et les intelligences artificielles.

Les autorités semblent dépassées par l’ampleur du défi. En Europe comme ailleurs, on se concentre sur la compétitivité de l’économie, dans l’espoir un peu naïf que les nouveaux emplois suffiront à compenser la perte des anciens. Le problème est particulièrement urgent en Asie, où des populations entières dépendent des revenus d’une main-d’œuvre peu qualifiée, aisément remplaçable par des robots dont les prix ne cessent de baisser.

Quelles mesures faut-il mettre en place pour aider les futurs chômeurs? On peut imaginer la création d’emplois rémunérés dans les services à la personne: les besoins sont infinis en ce qui concerne l’éducation des enfants, la santé et l’aide aux retraités – et les bénéfices de telles mesures sont difficilement contestables. Il faut aussi évidemment encourager l’entrepreneuriat et la mobilité professionnelle, de manière à fluidifier le marché de l’emploi. Mais cela ne suffira sans doute pas.

Pour prévenir les effets du chômage de masse, la mesure la plus convaincante reste cette idée de revenu universel défendue aujourd’hui par Mark Zuckerberg: une petite somme d’argent versée par les autorités à tous les individus majeurs, qu’ils travaillent ou pas.

L’idée fait son chemin dans les milieux progressistes – elle a été soumise au vote en Suisse et fait l’objet d’un projet pilote en Finlande. Mais elle aura de la peine à s’imposer si ce revenu n’est pas conditionné à une activité. L’opinion publique est trop attachée à la valeur du travail pour accepter une rétribution universelle qui, en plus d’enrichir les riches, pourrait donner l’impression de «récompenser l’oisiveté».

Un revenu de base lié à la formation pourrait en revanche convaincre à la fois la gauche et la droite. L’idée serait d’offrir à chaque citoyen un revenu de subsistance, pour autant qu’il suive un apprentissage: une formation technique ou intellectuelle, accessible à différents niveaux, du simple cours de langue jusqu’au diplôme scientifique. Ces formations sanctionnées par des examens auront le double avantage de favoriser l’insertion sociale des chômeurs et de créer de nouveaux emplois du côté des formateurs (à moins de compter, ironiquement, sur les algorithmes pour transmettre le savoir).

Si les machines vont dévorer des dizaines de millions d’emplois, et s’il s’agit de «donner à chacun une sécurité permettant d’essayer de nouvelles choses», comme le dit Mark Zuckerberg, mieux vaut assortir l’aide financière d’une formation efficace. L’argent seul ne suffira pas.

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Une version de cet éditorial est parue dans le magazine Technologist (no 13).