TECHNOPHILE

Deep learning, l’apprentissage par le nombre

Inspirés du cerveau humain, les systèmes informatiques sont aujourd’hui capables d’extraire une information et d’en déduire une décision grâce aux principes de l’apprentissage profond.

En mars dernier, le Sud-Coréen Lee Sedol, meilleur joueur mondial de go, s’est fait battre à plate couture par Alpha Go. L’intelligence artificielle conçue par Google est devenue imbattable à ce jeu millénaire, très populaire en Extrême-Orient. Si la victoire en 1997 du programme Deep Blue d’IBM sur le champion d’échecs Gary Kasparov avait fait date, le go était considéré comme l’un des rares jeux dans lesquels l’homme dominait la machine, en raison du nombre de combinaisons possibles et des subtilités du jeu.

Derrière cette victoire de l’intelligence artificielle, c’est la vitesse prodigieuse de calcul des machines qui fait aujourd’hui la différence. «Depuis seulement cinq ou six ans, la puissance des ordinateurs alliée à la croissance exponentielle des données générées par internet ont fait exploser les capacités des machines, note Carlos Andrés Peña, professeur en intelligence artificielle et chercheur à la Haute Ecole d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD).

Un développement illustré par l’essor d’applications grand public utilisant ces technologies: smartphones équipés de la reconnaissance vocale; boom des chatbots, ces services d’aide à la clientèle présents sur de nombreuses applications; ou encore applications photo de Facebook ou Google, capables d’identifier le contenu d’une image. Au lieu de traiter les informations une par une, la machine peut désormais les mettre en réseau: c’est la technologie d’apprentissage en profondeur, qui bouleverse le domaine de l’intelligence artificielle.

Appétit sans bornes

«Imaginez que l’on doive traverser la rue: d’abord on regarde, ensuite on perçoit qu’une voiture arrive, ensuite on s’arrête et on calcule le risque: si la machine analyse ces informations une par une, on prend beaucoup de temps pour parvenir à la décision, dit Carlos Andrés Peña. Or, plus la machine a d’exemples, plus elle peut apprendre: elle est composée de milliers d’unités (comme des neurones) qui vont chacune effectuer des calculs simples.» En «avalant» des milliers d’images ou de situations, la première couche de neurones va intégrer les données reçues puis les comparer aux suivantes, et les combiner pour en extraire des informations de plus en plus complexes: c’est ce travail de mise en réseau entre plusieurs dizaines de couches de neurones, qui permet de parler d’apprentissage profond.

Un système de classification qui fonctionne un peu à la manière des neurones biologiques. Dès les années 1950, les informaticiens ont cherché à reproduire les fonctions du cerveau humain grâce aux ordinateurs. Ils pensaient alors que l’intelligence artificielle serait à même d’égaler rapidement celle de l’homme. Mais la technologie ne suit pas. L’apprentissage profond refait surface dans les années 1980, mais la faible puissance des machines et le nombre limité de données freinent encore son développement.

Jusqu’à son véritable essor dans les années 2010, rendu possible grâce à la puissance des ordinateurs actuels et la masse de données accessibles. En 2012, le système Google Brain, lancé par la société américaine, a pu découvrir le concept de chat, après avoir analysé dix millions de captures d’écran représentant cet animal. En somme, la machine est devenue capable d’apprendre de son expérience. Elle observe, trie, en déduit une solution.

Aide à la décision

Ce système d’apprentissage profond fait aujourd’hui l’objet de recherches tous azimuts. Son champ d’application est immense, et «ce n’est que le tout début», estime le chercheur de la HEIG-VD. Son rôle principal: apporter une aide à la décision. Le deep learning s’invite dans les villes, les banques, les cabinets d’avocats, les hôpitaux… Sur la base de milliers d’images médicales et données cliniques, la machine propose avec une infime marge d’erreur un soutien au diagnostic: «Il ne s’agit que de recommandations, par exemple les médecins conservent la prise de décision finale», précise Carlos Andrés Peña. Un super-assistant en consultation ou soins intensifs, comme le système Watson mis au point par IBM en 2006, que des centaines de médecins aux Etats-Unis, en Chine, et bientôt en Finlande utilisent déjà pour proposer des traitements ciblés.

En radiologie, Watson a su détecter sur des IRM des anomalies imperceptibles à l’œil humain. Un outil incroyablement efficace, capable de traiter 20 millions de pages de données médicales, études cliniques ou imageries en seulement trois secondes. Ces logiciels remplaceront-ils un jour les médecins? Non, estime Carlos Andrés Peña, d’autant plus «qu’on ne parvient pas encore à expliquer pourquoi la machine arrive à de telles conclusions». C’est justement une des questions qu’étudient les chercheurs à la HEIG-VD: «Nous essayons de comprendre comment se construisent les rapports entre les différentes informations reçues par la machine. Un spécialiste saura vous donner les raisons qui lui permettent d’aboutir à telle ou telle conclusion: ce n’est pas le cas aujourd’hui pour ces systèmes de réseaux profonds.»

Les grands groupes tech de la Silicon Valley, d’Asie et d’Europe sont aussi dans la course. «A partir du moment où les apprentissages profonds sortent des laboratoires de recherche pour s’intégrer à la vie courante, il est indispensable de créer des systèmes qui incluent une explication au choix qui a été donné, précise Carlos Andrés Peña. Prenons l’exemple d’une voiture autonome. En cas d’accident, l’utilisateur et l’assureur auront besoin de comprendre d’ou est venue l’erreur et pourquoi elle s’est produite.» Au point que les fabricants devraient prochainement établir des directives pour un droit à l’explication sur ces machines prédictives, dont l’usage ne cesse de s’étendre.

Feux de circulation et voitures autonomes

Des villes comme Singapour et Montréal s’en servent déjà pour améliorer la vie quotidienne: modifier la circulation pour réduire la pollution, optimiser leurs dépenses énergétiques, la gestion de l’eau et des déchets. Les voitures autonomes (pour fournir un système de contrôle en temps réel), les cabinets d’avocats (qui y puisent des réponses aux milliers de cas de jurisprudence), les banques (pour détecter un comportement suspect sur internet et limiter la fraude financière), les entreprises de sécurité informatique (pour prévenir les cyber attaques) utilisent ces systèmes d’apprentissage profond. Ils servent aussi à effectuer du monitoring environnemental (suivi de la déforestation grâce aux images satellites) ou de la cartographie ultra-précise (Google Map).

Pourtant, ces machines ne détrôneront pas de sitôt l’intelligence humaine. «Ces systèmes de neurones artificiels ne peuvent intervenir que dans un domaine spécialisé. S’ils peuvent effectuer des calculs à grande vitesse, prédire une solution et être fiables, ils n’ont pas accès à l’apprentissage généralisé, ils ne sont pas capables d’apprendre plusieurs choses à la fois, et s’ils n’ont pas des milliers de données à leur disposition, leurs apprentissages restent très limités, remarque Carlos Andrés Peña. A chaque fois que l’on avance, on se rend compte à quel point on est encore loin de l’intelligence naturelle.»

_______

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 13).

Pour vous abonner à Hémisphères au prix de CHF 45.- (dès 45 euros) pour 6 numéros, rendez-vous sur trust rx cialis.