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Crèches, la Suisse en queue de peloton

Encourager les politiques de soutien à la petite enfance favoriserait autant les familles que l’économie suisse.

La Suisse est reconnue pour l’excellence de son système éducatif, en particulier au niveau tertiaire avec 5 de ses universités régulièrement placées dans le top 100 mondial. Dans son ensemble, le système primaire et secondaire est également de bonne qualité. Mais c’est au niveau de la petite enfance, soit de la naissance à l’âge de 4 ans révolus, que le bât blesse.

La Suisse est en effet en queue de peloton pour les dépenses dédiées à l’accueil et au soutien éducatif de la petite enfance. Notre pays dépense 0.1% de son PIB pour la petite enfance, à comparer aux 0.3% en moyenne dans les pays de l’OCDE. Le coût effectif d’une place de crèche en Suisse est très élevé: environ 110 francs par jour. Bien que des aides sociales existent, le montant dévolu aux parents reste difficilement supportable pour un nombre important de familles et décourage la participation de beaucoup de femmes au monde du travail.

De nombreuses études montrent les effets bénéfiques des programmes préscolaires dédiés à un encadrement stimulant. Ces programmes favorisent également l’adaptation sociale des enfants. Les enfants de milieux défavorisés sont ceux qui en bénéficient le plus mais n’y ont malheureusement souvent pas accès. Il est donc vital de développer nos structures d’accueil pour la petite enfance et, en premier lieu, les crèches. Afin de pallier l’engagement trop souvent insuffisant des cantons et des communes, le parlement fédéral maintient depuis plusieurs années son aide financière pour la construction de nouvelles structures d’accueil extra-familial des enfants. Cette aide bienvenue reste cependant insuffisante eu égard aux besoins.

A cela s’ajoute le fait que la Suisse se distingue par des différences régionales et linguistiques notoires vis-à-vis des politiques d’accueil de la petite enfance. Les villes et la Suisse romande sont beaucoup plus enclines à en faire une priorité alors que la campagne et la Suisse centrale sont plus frileuses.

Il est intéressant de noter que, dans le canton de Zurich, deux tiers des coûts d’une crèche sont pris en charge par les parents alors qu’un tiers seulement ne l’est dans le canton de Vaud. Cette différence s’explique par la part plus importante du financement public (49% versus 33%), mais également des employeurs (9% versus 0%) dans le canton de Vaud. En instituant un fonds spécial pour la contribution des employeurs, Vaud fait office de pionnier.

Pour une fois, l’impulsion du secteur privé ne vient pas de la Silicon Valley. Une visite au quartier général de Facebook m’a laissé perplexe. Tout y est fait pour faciliter la vie des employés: le pressing pour habits, le coiffeur, les nombreux lieux de restauration, les salles de gym, etc. L’absence de crèches est cependant criante. A cet égard, les grandes entreprises suisses pourraient faire mieux que leurs concurrentes californiennes en s’engageant pour le soutien de la petite enfance.

Certains de nos politiciens ont fait de la limitation de l’immigration leur cheval de bataille. Ces mêmes individus traînent les pieds quand il s’agit de soutenir les politiques de soutien à la petite enfance qui favoriserait le développement de citoyens épanouis et productifs. C’est un mauvais calcul. Seul un partenariat public-privé bien pensé permettra aux parents qui le désirent d’exercer leur activité professionnelle quelle qu’elle soit. Ils seront en partie libérés des soucis de la garde et du soutien éducatif de leur progéniture, ceci pour le bien des familles et de l’économie suisse. Investir dans la petite enfance, c’est donc faire d’une pierre deux coups.

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Patrick Aebischer, chercheur en neurosciences, a dirigé l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) de 2000 à 2016.

Ce texte a été publié initialement dans la cialis phoenix arizona. Patrick Aebischer s’y prononce régulièrement sur des questions en lien avec la digitalisation et l’innovation.