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La vengeance du chaperon rouge (à croix blanche)

Le Conseil fédéral décide de s’attaquer au loup. Dans la foulée, d’autres espèces pourraient passer un mauvais quart d’heure. Même le cygne tuberculé tremble sur sa gouille. Presqu’aussi fort qu’un futur retraité?

«Strictement protégé» ou simplement «protégé», ce n’est pas la même chose. Cela fait même toute la différence. Messire loup risque de l’apprendre à ses dépens. Le Conseil fédéral semble avoir si peu de chats à fouetter qu’il trouve le temps de s’attaquer à des urgences aussi dramatiques que le sort de quelques dizaines de canidés.

Tout est parti, cela n’étonnera personne, d’une initiative valaisanne demandant que le loup puisse être chassé toute l’année. Taïaut et sus donc à ce fléau majeur du XXe siècle, ce souci de tous les peuples, cette angoisse de tous les instants, ce cauchemar qui empêche les mères de dormir, sans parler des grands-mères.

Cela aura suffit pour que le parlement, plus finaud que le plus rusé des renards boiteux, suggère que l’on exploite les moindres failles de cette satanée Convention de Berne qui protège strictement l’égorgeur des alpages, le Ben Laden des pâturages, le radicalisé des hauteurs.

C’est «à la suisse» que le Conseil fédéral, plus sage que jamais, décide de juguler la menace majuscule que représente le loup: à savoir par des salves de finasseries juridiques bien ciblées et une demande adressée au Conseil de l’Europe.

«Strictement protégé», cela signifiait que le loup, on ne pouvait pas y toucher, à moins qu’un massacre dûment quantifié de moutons et autres créatures bêlantes ait pu être démontré. «Protégé», cela pourrait bientôt signifier que les cantons n’auront plus besoin de prouver des dégâts réels occasionnés par la bête infâme pour l’abattre proprement.

Bref, en jargon fédéral, «protégé» pourrait devenir synonyme de «pas protégé du tout». La politique, décidément, on s’en rend compte tous les jours, est un art d’une finesse propre à ébahir les moins naïfs. Et quelle poésie dans le choix des concepts: on parlera désormais, pour zigouiller un loup, «d’intervention régulatrice».

Envers, certes, une bête qui reste officiellement protégée – on n’est pas des barbares, on n’est pas des sauvages, on n’est pas des viandards – mais qui aura intérêt à se faire toute petite, à ne pas créer de «conflits». Autrement dit à ne pas trop emmerder le nouveau roi autoproclamé des animaux: l’Homme. Dans ces cas-là, on ne discutera plus, on ne comptera plus, on ne s’embêtera plus à couper les brins de laine en quatre et à relire les articles de la Convention de Berne: on régulera.

D’autres terrifiantes créatures semant la désolation parmi nos monts, campagnes, lacs et vallées pourraient subir le même courageux traitement, via la nouvelle loi sur la chasse. Le bouquetin, ce salafiste des rochers. Le lynx, véritable kamikaze des forêts. Le castor, qui doit sans doute haïr à mort tous ceux qui ne peuvent montrer queue plate et dents longues. L’ours solitaire, ce fou en liberté. Et même le cygne tuberculé. On devine déjà, on entend même un soulagement général monter de nos chaumières apeurées: la menace du cygne tuberculé s’éloigne. On osera donc à nouveau promener les petits enfants en plein jour et laisser sortir les jeunes filles après le coucher du soleil.

On en oublierait presque l’insipide débat sur ce point de détail rébarbatif que représente la réforme Prévoyance vieillesse 2020. Le projet d’Alain Berset est si embrouillé que personne ne comprend vraiment ce que va devenir le retraité nouveau: strictement protégé ou simplement protégé?

Tant de questions se bousculent. La Convention de Berne permet-elle par exemple que la génération des baby-boomers, majoritaire au parlement, se concocte pour elle seule des rentes aux petits oignons que paieront les générations suivantes? La baisse du taux de conversion du deuxième pilier, l’augmentation de l’âge de départ à la retraite des femmes, sont-elles vraiment les interventions régulatrices qu’on essaye de nous vendre?

Autant demander à un cygne tuberculé l’heure qu’il est.