Ah! la traçabilité! Jadis, on parlait de trace. C’était une empreinte physique, du genre qui permettait aux Valaisans de repérer un loup dans la neige et de l’abattre avant qu’il ait massacré autant de moutons que le moindre de leurs chiens redevenus sauvages. La trace, c’était la marque d’une présence ou d’une action passées. Ou bien elle était réelle en soi, ou bien elle était le signe d’un réel disparu.
La traçabilité, c’est autre chose. C’est la possibilité d’identifier un produit de son origine à sa distribution, et de reconstituer son parcours. C’est une notion variable, qui se gradue selon des indices. Entre le mot trace et le mot traçabilité, quelque chose s’est perdu: le premier désigne un fait, tandis que le second désigne une éventualité, voire une hypothèse, ou une illusion.
Entre la trace et la traçabilité, il y a le même espace qu’entre l’intelligence et l’intelligibilité, c’est-à-dire qu’entre un personnage intelligent et un connard intelligible: si celui-là comprend, celui-ci parvient peut-être à se faire comprendre – ne serait-ce que pour faire comprendre qu’il ne comprend rien de rien. La différence est considérable.
Eh bien nous en sommes là. Aujourd’hui, grâce aux moyens d’investigation technique et d’enregistrement dont nos sociétés disposent, nous aurons bientôt tout répertorié de la planète, de son histoire, de sa géographie, de ses mécanismes et de son évolution. Nous devrions succomber face à la pléthore de traces qui nous sont révélées quotidiennement dans tous les domaines.
Or tout se passe à l’inverse. Notre époque affolée de copier-coller, de manipulations génétiques, de transferts d’images, de clonages variés, de mimétismes provoqués par les consommations de masse et de postures narcissiques au gré desquelles les reflets paraissent plus vrais que les modèles, fait que les traces se perdent autant que les claques. Les vaches mastiquent du cochon, Cantona se prend pour Bossuet chez Ardisson, les poules picorent du bœuf et Bossuet rumine dans sa tombe. La traçabilité devient le jeu des sociétés modernes. Cette tombe, quelqu’un sait-il où elle est?
——-
Illustration: Alexia de Burgos
© Largeur.com